(tiré du livre Francs
Tireurs et Partisans français en Dordogne)
Brantôme la Venise
périgourdine cité de la Joie de vivre par excellence, immortalisée par son célèbre
seigneur et abbé, Pierre de Bourdeilleé dont les Mémoires gaillardes ont peint
avec esprit les mœurs débridées des gens de la cour de Versailles, conservera à
jamais le souvenir des journées terribles de mars 1944. Lorsque le sol de la
fertile vallée fut arrosé par le sang de dizaines de martyrs de la Résistance
parmi lesquels se trouvaient des responsables parmi les meilleurs. Et quand des
soldats porteurs d’uniformes estampillés de croix gammées se livraient aux
pires actes de barbarie, infligeant à une population hébétée et terrorisée la
loi des représailles sanglantes, du viol et du pillage.
En ce samedi 25, l’approche
de Pâques se fait sentit et dans beaucoup de familles on songe à la fête des
Rameaux qui aura lieu dans une semaine. A la joie des enfants qui porteront
avec précaution leurs branches de buis odorant auxquelles seront accrochées des
sucreries. Les problèmes occasionnés par la guerre et ‘occupation passeront un
moment au second plan.
La tradition voulant que
l’église soit davantage fréquentée en ces occasions, même si la foi n’est pas
profondément ancrée, on se prépare donc à observer le rite ancestral.
Mais rien ne va se dérouler
comme imaginé. Les scènes évoquant l’entrée pacifique de Jésus Christ à
Jérusalem seront occultées dans les cœurs et les esprits par les effrayantes
images de l’irruption des barbares nazis sur les bords riants de la Dronne.
En fait, l’ennemi a déjà
décidé d’enrayer l’irrésistible montée de a Résistance en Dordogne et il
commence à déployer un peu partout ses puissantes forces spécialisées,
commandées par le général Brehmer.
Les maquisards de leur
côté, portent des coups directs et sensibles à l’occupant. Et dans le secteur
de Brantôme, les RIP. sont particulièrement actifs. Ceux-ci ont installé depuis
quelques semaines un camp d’insoumis et de volontaires au lieu-dit "le
Bouchet " sur le territoire de la commune de Cantillac. Il compte, au
moment des événements, entre quarante et quarante cinq jeunes hommes et porte
le nom de Daniel Lager on hommage à ce combattant disparu. La responsabilité en
est assurée conjointement par le Thibérien Alphonse Puybaraud dit "marius
" pour la partie militaire et par André Jouhaud dit "antoine ",
commissaire aux effectifs.
Ce camp, comme quelques
autres, a pour rôle de rassembler les réfractaires, de savoir qui ils sont et
d’où ils viennent, de connaître les raisons de leur présence et leurs
motivations, avant de les affecter, selon leurs aptitudes, aux détachements
opérationnels. Tout en essayant de repérer d’éventuels éléments infiltrés par
l’adversaire. Sage précaution dont l’utilité se vérifie fréquemment, .. Une
première instruction sur les armes et le combat est donnée, malgré
‘insuffisance criarde d’équipements.
Cependant, les responsables
du camp, en ce samedi, ont des inquiétudes et songent à le déplacer à nouveau.
Et pour ce faire ils chargent un petit groupe commandé par un garçon ayant
‘expérience des armes et que tous appellent "l’Aviateur ", d’aller
"réquisitionner " un camion, après l’avoir intercepté sur la route d’Angoulème,
A cet effet les 6 ou 7 maquisards se postent au nord de Brantôme, un peu
au-dessus de l’embranchement allant à Nontron. Après plusieurs heures
d’attente, le camion espéré n’est toujours pas passé. Mais, par contre des
voitures avec des Allemands à l’intérieur circulent dans les deux sens.
Avides d’action et un peu
frustrés dans leur attente, le chef du groupe et ses hommes, allant au-delà des
consignes reçues, prennent alors la décision de "se payer " l’une de
celles-ci puisque cela paraît facile et que l’occasion ne se présente pas tous
les jours. Les maquisards ignorent, bien entendu, que ces mouvements
inhabituels sont liés aux préparatifs de l’opération de grande envergure qui va
être lancée contre la Résistance. Leur décision est immédiatement mise à
exécution. Les garçons reprennent l’affût et quelques-uns se postent sur les
rochers dominant la chaussée d’une dizaine de mètres, un endroit idéal pour ce
genre d’opération. Et il n’y a pas d’habitations à proximité.
Peu avant 17 heures une
traction avant noire fait son apparition à 300 mètres environ, venant de la
direction de Brantôme. Aperçue un moment dans le virage, elle va bientôt être à
portée.. Les armes sont braquées. Le souffle est court. Dix interminables
secondes passent et la voilà qui débouche, juste avant le rocher. Pas de doute,
il s’agit bien d’une voiture ennemie on distingue nettement des uniformes et
les casquettes caractéristiques derrière les vitres... Un ordre bref. Le
premier tir claque et fait mouche. L’un des gars de "l’Aviateur ",
avec son mousqueton, a mortellement atteint ‘e conducteur du véhicule que les
autres partisans continuent "d’arroser ". Privé de direction celui-ci
fait une embardée, dévale le talus, se retourne et retombe sur ses roues dans
le pré, trois mètres en contrebas. Une portière s’ouvre et un homme en tenue
vert-de-gris jaillit au-dehors, se dérobe immédiatement dans le bois. Le temps
que les maquisards, serrant leurs armes toutes chaudes, descendent de Leur
promontoire par Le versant opposé à ‘à-pic et accourent, il a disparu. Le
troisième occupant de la "traction " est également en vie. En soldat
rompu aux astuces de la guerre il a enlevé Sa capote et l’a placée à terre, e
long de La voiture, bien à la vue des attaquants. Armé de son pistolet-mitrailleur
il s’est caché de l’autre côté et tire de courtes rafales dans leur direction.
Ceux-ci ne comprennent pas tout de suite le subterfuge et concentrent leurs
coups sur le manteau. Découvrant la ruse, le chef du groupe effectue un
mouvement tournant et prend l’allemand à revers. Des coups de feu sont échangés
et Le nazi est touché à la main. Sortant un mouchoir de Sa poche il l’agite
comme s’il voulait se rendre. Mais ses gestes ne sont pas clairs et il serre
toujours son arme, Une dernière balle e met définitivement hors d’état de
nuire, balle qui, €n ricochant sur le métal, atteindra l’un des maquisards
accourus de l’opposé, le blessant très légèrement.
Quant au fuyard, i a été
pris en chasse par deux ou trois membres du groupe. Qui finissent par l’apercevoir
sur la route, à une certaine distance. Mais il a le bonheur de rencontrer une
jeune fille circulant à bicyclette. Il l’arrête et l’interpose entre lui et ses
poursuivants. Puis, s’emparant du vélo, il s’enfuit à toutes pédales et se met
hors de portée. Il pourra ainsi rejoindre finalement les siens.
Le résultat de l’opération
n’en reste pas moins un succès. Des deux Allemands tués, l’un porte en effet le
grade d’Oberstleutnant, soit l’équivalent de lieutenant-colonel et l’autre est
un Hauptsturmfùrher, c’est-à-dire un capitaine, Leurs uniformes les désignent
comme appartenant aux S.S. et probablement à la Gestapo. On ne sait trop les
distinguer à ce moment-là... Et une sacoche emplie de documents va se révéler
une prise de grande importance. Ramenée au camp, elle ne pourra malheureusement
pas être déchiffrée immédiatement, personne ne connaissant suffisamment a
langue germanique.
Elle contient notamment des
cartes d’Etat-major soigneusement annotées, mentionnant la plupart des
emplacements des maquis avec divers renseignements concernant chacun d’eux
ainsi que les noms de certains auxiliaires et indicateurs de l’armée
hitlérienne...
Peu de temps après, le
contenu sera enfin soigneusement étudié. Cela permettra de déjouer une partie
des plans ennemis et de neutraliser des agents dangereux,
En attendant, l’armée de
répression et d’occupation vient de subir, en la circonstance, un sérieux
revers,
Mais les nazis, se refusant
à admettre l’échec militaire vont, comme ils en ont maintenant pris l’habitude,
se retourner contre de paisibles citoyens, semant la mort et la terreur
suppliciant notamment une cargaison d’otages amenés de Limoges...
Le docteur Duvillard, maire
de Brantôme depuis plus de 40 ans, a été rapidement informé de l’embuscade et
de son résultat. Après avoir consulté quelques personnalités locales il croit
bien faire en ordonnant, sans attendre l’arrivée des autorités d’occupation, le
transport à l’hôpital de la ville des corps restés près de l’épave de la
voiture. La nuit n’est pas complètement tombée lorsque ceux-ci sont
effectivement déposés dans la salle mortuaire de l'établissement et les
religieuses qui font office d’infirmières ont allumé des cierges. Ces marques
de piété seront, espère-t-on, prises en compte par les Allemands et les
inciteront à respecter les lois de la guerre. ,
Mais ces considérations
"bien pensantes ", de gens fort éloignés de la Résistance, seront
sans effet. Ils en ont un premier aperçu lorsque, peu après 21 heures,
plusieurs voitures chargées d’hommes en armes et d’officiers de la Gestapo
venus de Périgueux stoppent devant l’hôpital. En vociférant, ces hommes se
précipitent sur a porte d’entrée, essaient de l’enfoncer. Projettent au sol les
deux religieuses qui viennent d’ouvrir et laissent éclater leur fureur, comme
l’ont décrit par la suite les témoins.
Le maire étant accouru, il
est aussitôt traité avec sauvagerie. Jeté lui aussi à terre, roué de coups de
pieds, il est accusé de complicité avec les "terroristes ". Alors
qu’il se relève le visage tout ensanglanté le septuagénaire est contraint de
participer au chargement des cadavres dans La voiture ambulance que le
sous-chef des pompiers, Roger Dujarry, conduira sous bonne escorte, jusqu’au
chef-lieu du départ e t e n t.
Emmené comme otage, M.
Duvillard s’entend prédire son exécution imminente ainsi que la destruction de
la ville... Puis le sinistre cortège repart vers Périgueux tandis que
l’inquiétude gagne. La nuit passera sans autre alerte mais, le lendemain
après-midi, une terreur décuplée s’abat soudain sur la paisible bourgade,
Mettant leurs menaces à
exécution, les nazis commencent à lâcher dans les rues plusieurs dizaines de
cruels mercenaires arrivés récemment en Dordogne. Il s’agit des troupes de la
"phalange nord-africaine ". En réalité des individus des bas-fonds,
de nationalités diverses, sans foi ni loi, truands prêts à toutes les besognes,
tueurs sans pitié et unis par une même idéologie celle de l’argent et du
pillage. Entièrement au service de la Gestapo et de ses œuvres les plus basses.
Cette "phalange "
a son siège à Tulle depuis le mois de février et son chef, Lafont, a constitué
des groupes de 36 hommes, détachés là où la Gestapo les réclame. A Périgueux,
L’un de ceux-ci, commandé par un ancien joueur de football nommé Villeplana, a
fait son apparition dans la première quinzaine de mars et Brantôme va être le
théâtre de ses exploits sanglants.
Hambrecht, qui a la haute
main sur la sinistre police nazie à Périgueux, dirige les opérations contre
Brantôme, assisté par quelques-uns de ses collaborateurs. Il est appuyé par un
sérieux encadrement de nationalité allemande et par un contingent de la
Wehrmacht, placé en "couverture ".
Se répandant dans les rues
de la petite cité, les mercenaires et leurs gradés provoquent la panique et
l’affolement, en tirant des rafales d’armes automatiques contre les façades des
immeubles, les devantures de magasins... Les gens se réfugient là où ils
peuvent, cherchant désespérément à se mettre à l’abri. Le jeune Naboulet, de
Valeuil, qui court près du cinéma, est tiré comme un lapin et une balle lui
déchire la jambe.
Ayant semé la panique et la
peur durant de longues minutes les hommes de main aux uniformes foncés vont se
livrer à leur sport favori la mise à sac sans retenue et le viol lorsque
l’occasion s’en présente. Les vautours savent qu’ils ont toute licence et
l’encadrement allemand assiste avec satisfaction aux plus horribles scènes,
lorsqu’il n’y participe pas lui-même.
De nombreux habitants sont
dépouillés de leurs bijoux et argent liquide. Des objets de valeur sont entassés
dans une camionnette, L’opération est accompagnée de beuveries car il y avait
encore de bonnes bouteilles au fond des placards... Plusieurs femmes ou jeunes
filles subissent des violences sexuelles. Parmi elles l’épouse d’un prisonnier
de guerre qui appellera en vain au secours, Chacun se demande avec angoisse
quand ce cauchemar prendra fin, car cela fait plus de deux heures que l’essaim
criminel s’est abattu sur la ville,
Après le pillage, le
massacre annoncé va-t-il commencer ? Tout le Laisse craindre. Un réfugié
alsacien, Jules Kichler, âgé de 47 ans, ne vient-il pas d’être sommairement
abattu. Il agonisera longtemps dans une mare de sang, au vu de plusieurs
personnes, parmi lesquelles des enfants, Le lendemain, le corps de ce
malheureux sera jeté dans les flammes de son domicile incendié,
Pendant ce temps, le maire,
ligoté comme pour aller au supplice, a été ramené dans Sa ville et il attend
son sort à la gendarmerie...
Mais voici que le diabolique
processus est brusquement interrompu et la horde, vivement rappelée à coups de
sifflets stridents. Que se passe-t-il ? L’épreuve prendrait-elle fin ? Un
espoir auquel nul n’ose trop adhérer. Avec juste raison d’ailleurs comme la
suite des événements va le montrer.
Un autocar vient en effet
de stopper à proximité du pont. A l’intérieur on distingue des passagers en
civil et aussi des uniformes allemands. Mais le plus insolite, ce sont les deux
automitrailleuses placées à l’avant et à l’arrière du bus. Et, lorsque les
sinistres auxiliaires de Villeplana sont rameutés, ils grimpent dans le camion
qui les avait amenés et celui-ci prend place à la suite du car et des véhicules
de combat. Puis Le convoi s’ébranle en direction d’Angoulème..,
Momentanément soulagée, la
population n’apprendra la vérité que le lendemain. Ce cortège d’engins
motorisés n’était qu’une horrible caravane funèbre. 25 hommes, condamnés à mort
sans jugement, des Français patriotes comptant parmi les meilleurs, étaient
ainsi acheminés sur le lieu du supplice, ~ I 500 mètres du bourg, au lieu-dit
"les Fontaines Noires ". A proximité de l’endroit où les deux
officiers nazis avaient été tués.
Peu après-midi, en ce
dimanche 26 mars, Ils avaient été extraits de la prison de Limoges où ils se
trouvaient incarcérés sous toutes sortes d’accusations en rapport avec a
Résistance. Depuis leur arrestation, effectuée presque toujours par les
policiers ou miliciens de Vichy pourvoyeurs de la répression, ils s’attendaient
au pire, même si la prison de Limoges ce n’était pas encore les camps de la
mort. Un léger espoir subsistait. Et certains gardiens se révélaient être des
patriotes.
Mais les hitlériens exigent
du sang en représailles de leurs deux officiers tués. Ce sera celui de ces 25
prisonniers dont la Gestapo fait le tri parmi l’effectif des incarcérés. Les
bourreaux dissimuleront aux malheureux, jusqu’au dernier moment, la décision de
procéder à leur exécution. Sans doute, pour les rassembler, leur a-t-on parlé
de transfert vers une autre prison. Non par sentiment d’humanité, mais pour
éviter les gestes de ceux qui n’ont plus rien à perdre...
A Limoges, les événements
de Brantôme n’ont pas filtré à l’intérieur de l’établissement pénitencier de la
place du Champ de Foire et Les futures victimes, malgré leur inquiétude, ne
peuvent imaginer le massacre collectif où, trois heures plus tard, en un lieu
inconnu situé à une centaines de kilomètres, leurs vies vont brusquement
s’éteindre.
Il en ira certainement
autrement, lorsque après avoir stationné dans la petite cité périgourdine en
état de siège et vu les effrayants supplétifs se joindre au convoi, ils seront
brutalement débarqués en bord de route et canalisés sur le petit sentier de
terre, menant au Lieu du massacre. Quelques centaines de mètres de cheminement,
encadrés par La horde "phalangiste ", armes braquées, ne permettent
plus à ces hommes, maintenant conscients de leur destination, qu’à penser aux
êtres chers, à leur nécessaire dignité, à leurs idéaux de combattants pour la
liberté à leur existence qui n’aura pas été inutile.
Se soutenant mutuellement,
vaguement alignés, ils tombent les uns après les autres contre le talus,
fauchés par le feu déclenché par les mercenaires sur l’ordre des gradés nazis.
Plus haut, sur e coteau, on distingue les toits du village de Saint-Pardoux. Et
des témoins auditifs ont déclaré plus tard avoir, entre deux rafales d’armes
automatiques, entendu s’élever parmi les cris et les détonations les accents de
l’hymne national.
Ces patriotes responsables
ne seront pas les premiers, ni hélas les derniers, à avoir ainsi, tête haute,
lancé cet ultime défi aux tortionnaires et assassins hitlériens.
Le forfait accompli, le
silence de la mort règne dans ce vallon où nul n’ose s’aventurer après le
départ de la bande meurtrière. Celle-ci semble d’ailleurs dessaisie des
opérations sur Brantôme. Avant la tombée de la nuit, la Gestapo, la plupart des
hommes de troupe et ceux de la "phalange " hétéroclite quittent la
ville et regagnent Périgueux, en emportant toutefois un important butin,
Le maire, M. Duvillard, est
à nouveau embarqué dans un véhicule. Il sera déposé au Manège d’artillerie du
quartier Saint-Ceorges à Périgueux où il se retrouve en compagnie de dizaines
de personnes raflées lors de la gigantesque chasse à l’homme qui vient d’être
lancée d’un bout à l’autre du département, Dès le lendemain, lundi 27 mars, des
compatriotes viendront d’ailleurs le rejoindre et tous vivront en ces lieux,
parqués comme du bétail, des heures particulièrement dramatiques.
Si, dans la cité où régna
Pierre de Bourdeilles, une nouvelle journée d’épreuves débute tôt le matin
personne n est encore au courant du massacre des Fontaines Noires. Nul ne sait
qu’un monceau de corps humains percés de balles gît, là-bas, à l’orée du
coteau, Car les esprits sont d’ores et déjà captivés par le développement de la
situation. Et par la peur qui s’est réinstallée.
Dans le courant de la nuit
en effet, les habitants ont entendu, avec stupeur, arriver de nombreuses unités
allemandes motorisées. Dans le tumulte ponctué de commandements gutturaux et
d’exclamations germaniques elles ont pris position aux points névralgiques,
occupé les établissements publics, la mairie, les hôtels. Des éléments composés
de plusieurs centaines de soldats de la division Brehmer, dotés de tout leur
attirail guerrier, nantis de renseignements précis en provenance du cru,
d’interprètes et d’indicateurs, prennent immédiatement le relais dans la
sauvagerie et la terreur.
Ceux-là se sont déjà fait
la main à Mussidan et ses environs, signant leur passage par des fusillades
sommaires. Des dizaines de personnes arrachées à leurs foyers et dirigées vers
les camps de déportation. Ici, au petit matin, ces troupes spécialisées dans la
guerre aux populations, se livrent à leur besogne la chasse aux juifs, aux
communistes ou réputés tels, aux résistants actifs dont ils possèdent des
listes.
Les coups de feu crépitent
à nouveau dans les rues, le pillage reprend, des incendies sont allumés, la
fumée s’étend sur la bourgade, Avec parfois des relents de chair carbonisée,
comme lorsque Jules Kichler est jeté dans les flammes de son habitation,
faubourg de Reclus.
D’autres maisons flambent
en ville ou dans les environs immédiats. Le ratissage s’étend en effet aux
localités environnantes et notamment sur le territoire des communes de
Condat-sur-Trincou, Cantillac, Champagnac-de-Belair, Quinsac Saint-Pancrace et
Villars. Au soir du 27 on dénombrera une trentaine de corps déchiquetés,
abandonnés sur les lieux d’exécution, sans compter les otages de Limoges. Parmi
eux un père de huit enfants, Maxime Mazière, âgé de 54 ans. Près de la moitié
ont des origines israélites, Lorsque les nazis ont fait irruption, un certain
nombre de ces réfugiés se sont enfuis ou cachés, mais plusieurs ont été surpris
ou rattrapés...
Cependant à Brantôme,
durant le déroulement des atrocités commises par la troupe nazie, la nouvelle
de l’exécution des otages s’est propagée. Notamment parmi une trentaine de
personnes, dont plusieurs notables de la ville, d’épouses de réfugiés avec
leurs enfants, tous triés parmi la population rassemblée, au début des
exactions.
D’abord parqués dans un
baraquement puis entassés dans un véhicule militaire. , les trois quarts s’en
tireront finalement avec une peur intense et un séjour de 48 heures au Manège
d’artillerie de Périgueux. Mais les autres ne reverront jamais Brantôme,
expédiés vers l’Allemagne et ses fours crématoires...
Le maire-adjoint, M.
Dumazet, a reçu, entre temps, l’ordre de récupérer Les corps des otages
fusillés la veille et de les inhumer. Avec interdiction de les identifier ou de
former le moindre cortège.
L’ambulance de la ville est
hâtivement préparée pour effectuer le transport pendant que menuisiers et
diverses personnes procèdent fébrilement à assembler des planches en forme de
cercueil. Les gens de la mairie vont à la recherche des corps suppliciés, sans
succès tout d’abord. Enfin ceux-ci sont découverts au bas du talus où leurs pas
se sont figés.
Après une nuit passée, les
yeux tournés vers les étoiles à jamais éteintes, ils sont restés comme ils sont
tombés, proches les uns des autres et sur deux rangées à peu près égales. Ils
portent d’horribles blessures mais les bras raidis sont souvent allongés le
long du corps, confirmant l’attitude de fierté adoptée face à l’ennemi et à la
mort...
Deux voyages seront
nécessaires pour amener les suppliciés près de la fosse creusée au cimetière.
Avec une émotion qu’arrivent difficilement à contenir les exécutants
municipaux. Ces derniers, à la vue des corps meurtris sur les vêtements
desquels fleurissent parfois des décorations et même Le rouge de la Légion
d’honneur, en constatant l’âge avancé de certains, ont l’impression confuse de
vivre des moments historiques.
La personnalité et la
respectabilité des fusillés ne font en effet guère de doute, Aussi est-ce avec
un profond respect et une grande émotion qu’ils assurent le transfert des
dépouilles au lieu d’inhumation. Où seules ont été autorisées à paraître les
personnes requises pour e "tra-vail " et l’abbé Tissier qui officie
avec lenteur, s’attardant sur chaque cercueil. ,
On remarque également un
petit groupe de gardes mobiles, arrivé depuis peu on ne sait trop dans quel
dessein. Sans armes, ils assistent à la scène poignante et observent un digne
"garde à vous ".
Lorsque les brancardiers de
fortune ont acheminé les dépouilles vers l’ambulance municipale garée sur le
bas-côté de la route, à hauteur des Fontaines Noires, ils se sont soudain
trouvés en face d’un inquiétant problème au lieu des 25 corps annoncés ils en
dénombrent 26 L’un des participants à l’inhumation, intrigué, observe
attentivement les visages et remarque alors avec stupeur, parmi les victimes un
garçon de Brantôme, Emile avril, Il était employé ~ la ferme du Puy-Henri que
fait fructifier Mme Mariaud, l’épouse d’un prisonnier de guerre.
Comment ce jeune homme de
21 ans, qui se tenait en dehors des activités dangereuses, a-t-il pu être
fusillé ? L’explication saute bientôt aux veux de tous. Le malheureux, qui
avait été vu à Brantôme la veille en début d’après-midi, avant l’arrivée de la
Gestapo et de ses mercenaires, a voulu rejoindre la ferme à travers champs. Et,
son chemin croisant malencontreusement celui des tueurs, ces derniers l’ont,
sans le moindre remords, incorporé au cortège.
A 19 heures 30, en ce lundi
27, la tombe collective est refermée suries vingt-six corps presque tous
anonymes. Mais qui ne le demeureront pas longtemps. Et la connaissance de leurs
identités ajoutera encore à l’émotion et à la colère.
L’un d’eux est
particulièrement représentatif du courant de Résistance mis en relief dans
notre ouvrage, lise nomme Georges Lassalle et c’est une figure exemplaire de
responsable communiste, l’un des premiers artisans de Faction confie le régime
vichyste et l’hitlérisme. Créant et impulsant les réseaux clandestins il
figurait parmi les principaux organisateurs des formations combattantes F.T.P.
ainsi qu’on peut le voir au travers de nos récits.
Dans cette fosse
précipitamment ouverte où il vient d’être enseveli il côtoie d’autres personnalités
de premier plan, compagnons d’infortune de la prison de Limoges, comme lui
incarcérés pour leur action résistante et patriotique. Georges Dumas, d’abord.
Cet homme de 49 ans est capitaine d’aviation militaire. Il a fait la guerre de
14-18 et celle de 39-40. Chevalier de la Légion d’honneur. Il fait partie de
l’Etat-major de l’AS. en Haute-Vienne et c’est un militant socialiste. Arrêté
depuis 48 heures seulement lorsqu’il a été conduit à Brantôme. Et puis Arnold
Hanff, 45 ans, également titulaire de la Légion d’honneur, ingénieur en chef
des P.T.T. à Limoges dirigeant des MUR. <Mouvements Unis de Résistance>.
Et aussi Henri Renoux 42 ans, officier de carrière, né à Saint-junien.
Et d’autres encore, des
résistants " de base " comme Dolet Lafarge, 43 ans, tourneur sur
métaux à ‘Arsenal de la capitale limousine ou Gabriel Bois, 24 ans, ajusteur à
l’usine Defls et André Bablet, ouvrier dans cette même entreprise de la grande
agglomération des bords de Vienne. Simples patriotes qui diffusaient le matériel
du Front national ou d’autres organisations.,. Dans la fosse tragique, aux
côtés de Lassalle, il y a aussi deux policiers, dont l’un, Roger Auzy habitait
à Périgueux. Ils avaient choisi de combattre l’occupant plutôt que le servir.
Des employés de commerce, un cheminot, sont également au nombre des martyrs.
Représentants de la France profonde et laborieuse, dans Sa diversité d’opinions
et de croyances, mais qui, en ce printemps 1944, sait rassembler ses forces
vives pour reconquérir sa liberté.
Quelques groupes FTP sont
dans le secteur et notamment le Groupe " Marius ".
Quelques membres de ce
groupe, en embuscade le 25 mars au nord de Brantôme, sur la route de Nontron
interceptent une voiture transportant trois officiers allemands appartenant aux
SS et se rendant à Angoulème.
Un Colonel et un Commandant
sont tués, mais le troisième peut s’échapper et déclencher une tuerie d’une
violence extrême.
Je me trouve ce jour là à
la gendarmerie de Nontron lorsqu’un coup de téléphone prévient le Lieutenant
qu’un officier allemand blessé attend du secours dans un château voisin. Le
Lieutenant ne peut faire autrement qu’envoyer chercher le blessé dont le bras
droit touché par balle est sérieusement enflé.
Sitôt arrivé à la caserne
et refusant tout soin, cet officier donne l’ordre de rassembler tout l’effectif
qu’il passe en revue. Il cherche en fait à reconnaître un gendarme qui lui a
refusé du secours sur la route de Nontron à Brantôme.
Notre camarade Gabiache,
acquis à notre cause, s’étant rendu le matin même à Brantôme, il ne fait aucun
doute que c’est lui qui est mis en cause. Le SS presse le Lieutenant de le
retrouver coûte que coûte pour le faire fusiller.
Nous pouvons le faire
prévenir par des amis sûrs ; il a pris le maquis en Corrèze et je ne l’ai
revu que vingt ans après dans son pays natal dont il était devenu le Maire.
Une répression féroce se
déclenche alors sans tarder. Quelques heures après l’alerte donnée par
l’officier SS, la fameuse division Azul, mercenaires de Franco, la Gestapo, la
Milice sont à pied d’œuvre. Le nord du département est encerclé par ces brutes
qui ont tué, violé, pillé, brûlé. Brantôme est particulièrement touchée par ces
atrocités. Toutes les maisons sont fouillées, toute arme découverte vaut
exécution immédiate. Le pauvre garde champêtre porteur de son arme et dans
l’impossibilité de trouver son permis de port est abattu sur la route, devant
sa maison, en présence de sa femme et de ses huit enfants. Ses assassins ont
transporté son corps sur son lit, arrosé le tout d’essence et mis le feu.
Les juifs, très nombreux en
Dordogne, sont traqués, certains fusillés, d’autres déportés par familles
entières.
Estimant sans doute que le
nombre de victimes locales est insuffisant, le lendemain 26 mars, un car
contenant 25 otages politiques pris dans la prison de Limoges où ils étaient
internés fait son entrée dans Brantôme. Ils sont emmenés sur les lieux de
l’embuscade initiale et là, fusillés. Un jeune paysan qui a le tort de passer
par-là à bicyclette au mauvais moment est joint aux autres et fusillé avec eux.
Vingt Six mars, Vingt Six morts …
Un monument des fusillés
est aujourd’hui érigé sur les lieux de leur martyre. Si vous passez par-là,
souvenez-vous que c’est pour que vous viviez libre qu’ils ont sacrifié leur vie.
Quelques jours après, dans
le calme relatif, chacun panse ses blessures, relève ses ruines. Mais une haine
toujours plus grande dresse la Résistance contre l’occupant qui n’ose plus
circuler qu’accompagné de blindés. Les Partisans relèvent le défi et attaquent
de plus en plus souvent, parfois avec des moyens dérisoires.
Emprisonnés
ils ne s’avouent pas vaincus
(tiré du livre Francs
Tireurs et Partisans Français en Dordogne)
En septembre 1939 les
personnes décrétées "dangereuses" pour la Défense nationale ou
la Sécurité publique sont appréhendées et enfermées dans des camps dits
"d’hébergement ". Celui du Sablou, entre Plazac et Eanlac est un des
spécimens les plus représentatifs. Comme on le sait, les internés dans Ces
camps sont presque tous des responsables du parti communiste. Aucun fait
répréhensible au regard de la loi ne leur est reproché. Ils sont simplement
"neutralisés préventivement ", en raison de leurs opinions et
activités politiques antérieures. Et aussi pour avoir maintenu leur attachement
"internationaliste" à l’union soviétique qui demeure, à leurs
yeux, le pays ayant réalisé la première révolution prolétarienne victorieuse et
aboli le système capitaliste.
Le pacte de non-agression
qu’elle a conclu en dernier ressort avec l’Allemagne hitlérienne, même s’ils
n’en possèdent pas toutes les données, n’a pas détruit leur confiance en ses
dirigeants, censés agir, en toutes circonstances, pour le triomphe final de la
cause commune, On ne peut expliquer les événements de l’époque si l’on fait
abstraction de ces éléments, simples sans doute, mais bien réels.
En mettant en œuvre cette
répression, la Troisième République se rabaisse encore. Cherchant manifestement
à cacher ses abandons et à faire diversion sur ses incapacités à assurer une protection
efficace de nos frontières, sur lesquelles le fascisme se montre partout
agressif et menaçant. Cette résurgence moderne de la Lettre de Cachet va être
naturellement maintenue et aggravée par le gouvernement de Vichy, même si le
camp du Sablou disparaît en tant que tel vers la fin de 1940, ses
"pensionnaires " étant dispersés en d’autres lieux de
détention et notamment en Afrique du Nord.
Dans le pays, les militants
communistes n’ont cependant pas tous été internés. Il eut fallu décupler le nombre
des camps Et on pense bien que les mesures prises à l’encontre des
"têtes" les plus marquantes feront rentrer les autres dans
leur coquille, Cet espoir sera déçu.
Car, si certains adhérents
et militants ne comprennent pas ou récusent eux aussi le traité conclu à
Moscou, beaucoup d’autres restent confiants, ne se résignent pas et se lancent
dans la reconstitution illégale de cellules de base, lis s’efforcent, en ces
premiers temps difficiles, d’expliquer la situation, notamment à l’aide de
textes rédigés sur place ou transmis par ‘organisation clandestine. Réfutant
les accusations lancées contre eux mais manifestant également une opposition
incontestable à l’ordre et au système vichyste. Une action indépendante, sans
liaison bien entendu avec la stratégie, alors bien imprécise, élaborée par les
Français de Londres. Il s’agit surtout de braver les interdits, de montrer que
leur parti, qu’ils estiment porteur d’espoir pour l’avenir, vit toujours. Qu’il
est le défenseur du peuple et de ses revendications immédiates les plus
sensibles, comme le ravitaillement, le retour des prisonniers, la cessation de
la répression, la libération des emprisonnés, etc.. Après l’inévitable attaque
hitlérienne contre l’U.R.S.S. et la clarification ainsi apportée, les activités
vont aller en s’intensifiant, ici comme partout, avec l’objectif final
d’anéantir le nazisme et son appareil militaire, de libérer notre pays et
restaurer son indépendance. Et apparaissent en même temps les grandes lignes de
la lutte à outrance bientôt menée sous toutes ses formes afin d’y parvenir,
avec les F.T.P. comme force indispensable, œuvrant aux côtés de toutes les
autres.
Tout cela a pour
conséquence, côté négatif, de remplir les prisons périgourdines. Les tribunaux
de Vichy poursuivent activement la répression et la développent. Les détenteurs
et distributeurs de tracts, les militants accusés de propagande interdite, sont
traqués par la police et durement sanctionnés. Et les établissements
pénitentiaires de la Dordogne "accueillent " des centaines de
Ces patriotes, amenés de partout et dont le combat sera désormais limité par
les murs ou les barbelés de leur lieu de détention.
Mais les condamnations
sont, dans la quasi-totalité, sans effet sur leur idéal. Et ils poursuivent,
comme ils le peuvent, leur engagement.
Les prisons de Nontron, de
Périgueux, de Bergerac et le camp de Mauzac vont receler, durant plusieurs
années, des hommes à l’élan momentanément brisé, Mais qui réussiront cependant
à lutter avec les faibles moyens dont ils disposent... et avec leur
imagination. La plupart prendront part à l’insurrection nationale après le
débarquement de Normandie.
C’est le cas pour Yves
Péron, ce jeune ouvrier du bâtiment de la région parisienne, dont le nom sera
étroitement associé, après la guerre, à l’histoire politique du département.
Mobilisé en septembre 1939, il participe aux rares combats offensifs engagés en
Sarre dans les premières semaines du conflit. Mais, lors de son unique
permission, au début de 1940,1 sera "cueilli " par la police à
son domicile et incarcéré. Ses responsabilités antérieures aux Jeunesses
communistes et une action poursuivie au sein de son unité en sont la
motivation. Après un séjour au camp de Gurs, puis à celui de Nexon, le tribunal
militaire de Paris, replié à Périgueux, le condamnera, en novembre, à cinq
années de réclusion. La continuité de la répression, engagée avant la défaite,
est ainsi pleinement assurée par le régime de Pétain...
Lors du procès, le jeune
soldat n’a pas courbé la tête. Il a même courageusement et fermement récusé ses
juges, déclarant que seul le verdict du peuple lui importait...
Il faudra cependant
plusieurs années encore avant que celui-ci prévale enfin. En attendant, il va
connaître, en compagnie de beaucoup d’autres, la privation de liberté et l’humiliation
derrière les murailles des prisons d’Agen, de Nontron, de Villeneuve-sur-Lot et
du camp de Mauzac. Quatre années de détention et de mauvaise nourriture ont
altéré Sa santé et au printemps 1944 il sera transféré dans les locaux
sanitaires destinés aux prisonniers, à l’hôpital de Bergerac.
C’est de là que, le 11
juin, en compagnie de cinq autres détenus soignés avec lui dans
l’établissement, il prendra la clé des champs et rejoindra la Résistance,
Parmi les six évadés, un
seul n’est pas "politique ". Son comportement, en cette occasion,
n’en sera pas moins exemplaire. Les quatre autres se nomment Max Moulinier, de
Bergerac, Henri Faure, de Paris, Louis Carré et Robert Fleurence. Ce dernier,
originaire de Roanne, avait été arrêté en mars 1940, emprisonné à
Clermont-Ferrand et condamné en septembre parle tribunal de cette ville. Le
motif était sensiblement identique activités interdites avec la Jeunesse
communiste.
Après un "passage
" de trente mois très pénibles à la Centrale d’ Eysses à Villeneuve
il a "échoué " à Mauzac. Sa santé, également éprouvée paria
longue épreuve, lui a valu d’être admis lui aussi dans e service hospitalier
réservé aux détenus. Les circonstances liées au débarquement de Normandie et à
l’intensification des combats vont permettre à Ces hommes de recouvrer leur
liberté. En profitant du bombardement par l’aviation alliée, de l’aérodrome de
Roumanière.
Déjà, au mois d’avril, des
appareils britanniques avaient pilonné la Poudrerie toute proche. Les murs de
l’hôpital avaient souffert, les vitres avaient été brisées. Mais, lors de cette
attaque, les deux chambres-prison étaient restées fermées à clé, avec leurs
occupants à l’intérieur. Amenant, dès le lendemain, une protestation énergique
de ceux-ci auprès de la direction de l’établissement et de la surveillance de
la prison militaire dont dépendent les locaux. Ils font valoir que leur
maintien dans leur chambre durant un bombardement pouvait être une condamnation
à mort. Ces protestations ont sans doute de l’effet puisque, le 11 juin, lorsque
les avions de la R.A.P. sont à nouveau annoncés, tous les prisonniers
"valides ", environ une quinzaine et pour la plupart
des délinquants militaires, sont conduits dans les jardins où des tranchées ont
été creusées, Un plan de fuite a été prévu dans l’éventualité dune telle
situation et immédiatement mis à exécution, Mais il sera compliqué par l’état
de l’un des cinq "politiques ". Henri Faure est en effet pris dans un
corset de plâtre, du bassin jusqu’aux épaules. IL n’est donc pas question de
lui faire escalader les clôtures. Au moment décidé, profitant de sa condition
particulière, il va donc traverser tranquillement les couloirs de l’hôpital,
pendant que les autres s’installent dans les fossés. Puis il s’arrête quelques
secondes, près du portail de sortie, où s’est formé un petit attroupement de
personnes extérieures à l’établissement et inquiètes du bombardement. Ses
quatre camarades, le voyant apparaître à cet endroit, savent que leur tour
d’agir est venu, Pendant qu’un détenu militaire, mais complice néanmoins,
détourne l’attention du gardien de service, ils grimpent sur le mur d’enceinte
et sautent dans la rue, plusieurs mètres en contrebas.
Tout se passe à peu près
bien, sauf pour Fleurence. S’étant mal reçu au sol, ses deux chevilles sont
apparemment foulées. Mais cela ne l’empêchera pas de s’éloigner en claudicant.
Dégainant son pistolet, un
gardien se met à crier et à tirer dans leur direction. Ils sont cependant
suffisamment éloignés pour que les balles n’atteignent pas les fugitifs. Max Moulinier,
natif de la ville et connaissant parfaitement les lieux, a tôt fait de diriger
ses compagnons dans des rues moins dangereuses. Puis, vers des abris sûrs et
hors de portée des poursuivants.
Robert Fleurence est admis
et soigné dans un premier temps au sein d’un groupe de l’AS., cantonné près de
Pombonne. Où son "accident " et un état général déficient,
l’immobiliseront durant plusieurs jours. Et c’est finalement chez "Soleil
" qu’il prendra son poste pour les derniers combats avant la
Libération. La Dordogne restera sa terre d’adoption où il poursuivra une vie
active notamment dans le Terrassonnais.
Yves Péron, quant à lui,
sera immédiatement "opérationnel " dans la formation mise sur
pied par René Coustellier. Il ne tardera cependant guère, compte tenu de ses
antécédents et de sa représentativité, à être affecté, avec le grade de
lieutenant-colonel et sous le pseudonyme de " Caillou ", à
l’Etat-major départemental des E.T.P.
Parmi les survivants de
Mauzac, l’un d’eux, Pierre Dolla a également participé aux combats libérateurs
du département. Ce Méditerranéen qui avait choisi " Azur " comme
nom de guerre, a rédigé des souvenirs précis et instructifs sur le calvaire
subi par lui-même et ses camarades avant que ne soit organisée leur évasion le
7 juin 1944.
Il a fait son entrée dans
le sinistre camp des bords de Dordogne le 11février 1942, par une nuit
glaciale, en compagnie d’une trentaine d’autres militants des régions niçoise
et marseillaise. Tous sont enchaînés trois par trois et encadrés par une multitude
de gendarmes. C’est bien le peuple de France dans Sa diversité.
Si Yves Péron est arrivé
dans Sa première prison périgourdine lié à l’écrivain Léon Moussinac, Pierre
Dolla, peintre en bâtiment, est attaché à la même chaîne que Charles Maïssa, un
ténor de l’Opéra de Nice et à Alexandre Manni, cultivateur à Vence. Et, dès son
arrivée, il va retrouver avec émotion un de ses compatriotes, Louis Odru,
dirigeant niçois des "Jeunesses", emprisonné ici depuis mars
1941, Suite à une condamnation à cinq ans de prison par le tribunal militaire
de Clermont-Ferrand, en novembre 1940, pour "propagande communiste dans
l’armée d’armistice et infraction au décret du 26septembre 1939".
Odru sera transféré en juin
1943 à la prison de Villefranche-deRouergue, après un séjour de cinq mois et
demi à celle de Bergerac. Déplacement venant sanctionner ses activités en ces
lieux. Celles-ci sont nombreuses, comme il le dira lui-même plus tard,
"nous devions, précise-t-il, faire respecter notre dignité
d’hommes, assurer notre travail "universitaire ", nos loisirs
culturels, nos cours politiques, nos efforts pour nous mettre en contact avec
l’extérieur et essayer de nous évader...
Le jeune intellectuel
qu’est Odru se souvient de la plupart de ceux qui y participent et notamment de
Max Moulinier et Robert Boussenot originaires de la Dordogne. Mais il est lié
par une profonde amitié avec ses camarades des rives méditerranéennes
travailleurs manuels ayant une solide expérience. Lorsqu’il sera séparé d’eux
il rédigera des lettres pleines de sensibilité et destinées à Pierre Dolla.
Elles restent un témoignage particulièrement vivant sur "l’atmosphère
" régnant à ce moment-là et sur la foi en l’avenir qui anime les
détenus.
Ainsi, depuis a prison
lotoise où il vient d’arriver il écrit " Dans deux jours, le 29,
cela va faire un mois que j’ai quitté manu militari la prison militaire de
Bergerac. Enlèvement au petit jour, trois gardiens pour moi seul, deux paires
de menottes, compartiment réservé dans des trains bondés. Voilà le film de ce
voyage. Tu vois que l’on me fait beaucoup d’honneur. Le long de la route, quand
on savait qui j’étais, j’ai récolté un grand nombre de sourires amicaux. Cela
fait du bien de sentir le cœur des autres battre â l’unisson du sien. Et le
plus pessimiste se serait senti envahi d’espoir à la vue de tous ces braves
gens supportant avec courage et résolution les souffrances de la vie
actuelle.,, Maintenant que je suis loin du camp et de tous les camarades
internés, je me rends mieux compte encore des choses admirables que nous avons
su y réaliser... Quand nous reviendrons chez nous, nous pourrons, comme par le
passé, loyalement nous serrer la main, car nous aurons jusqu’au bout, sans
défaillance, accompli notre devoir de Français... Je ne te souhaite pas du
courage. Tu en as à revendre. Bientôt, la France fera appel à nous et toute
notre ardente jeunesse répondra d’un seul cœur. De l’audace encore, toujours et
la France vaincra...
En décembre de la même
année, Louis Odru adresse ses vœux à ses camarades de Mauzac et on peut lire
dans cette correspondance "1943 a satisfait tous les espoirs que nous
mettions en lui le 1er janvier dernier, Comme nous, vous êtes
certains que 1944 sera l’année de la Victoire... Votre sacrifice, le sacrifice
de tous les emprisonnés, le sacrifice de Faïta et de tous nos héros préparent
les jours heureux de l’avenir. Comme parle passé, 1944 nous trouve prêts au
service de la France... Passez donc un Noël joyeux. il est le dernier que nous
passons dans les fers et il faut le vivre pleinement... ‘.
Mais retournons en arrière,
à Mauzac où, faute de pouvoir lutter sur d’autres fronts, les détenus
politiques comme la lettre de Louis Odru y fait allusion, ont décidé de fêter à
leur manière la fin de l’année 1942. Ils vont pour cela manifester leur confiance
en la victoire finale tout en saluant bruyamment les premiers succès de l’armée
soviétique. Cela se traduit par une ronde dans le dortoir. Les uns derrière les
autres, se tenant par les épaules, les prisonniers tournent inlassablement,
pendant que de leurs bouches sort tout le répertoire des chants patriotiques et
révolutionnaires. Malgré la faim au ventre, l’espoir et la confiance se
trouvent puissamment ranimés et cela décuple la puissance des voix, parmi
lesquelles se détache parfois celle de Maïssa, le chanteur niçois.
Mais ces airs séditieux,
montant de la nuit obscure et froide, troublent la tranquillité des gardiens et
des C.M.R. qui surviennent, les armes à la main intimant le silence, menaçant
des plus dures sanctions.
Dès qu’ils sont partis, la
chorale se remet en marche, motivant une nouvelle intervention de la garde. Et
toute la nuit se passe ainsi, emplie de ces chants de lutte qui, par épisodes,
jaillissent des baraquements entourés de barbelés. Entendus au loin, les échos
de cette manifestation d’espérance ne passent pas inaperçus dans les environs
de Lalinde.
Au début de 1943, de
nouveaux condamnés par les tribunaux pétainistes arrivent à Mauzac. Parmi eux,
les jeunes sont nombreux. Cela permet de constituer une organisation
clandestine des Jeunesses communistes. Elle comptera bientôt près d’une
centaine de membres qui va disposer de son journal " L’Avant-Garde ",
en petit format et entièrement rédigé à la main.
Réalisé et distribué
secrètement avec beaucoup de précautions, il se révèle un précieux fiait
d’union en même temps qu’un instrument d’éducation et de combat. Il est lu en
outre par les détenus militaires pour raisons non politiques, auteurs de délits
généralement pas très graves. Beaucoup d’entre eux y puiseront la volonté de
bien se conduire et de prendre le chemin de l’action contre le fascisme.
De tristes nouvelles
viennent néanmoins parfois attrister les prisonniers. Comme lorsque parviendra
la nouvelle de l’exécution à la prison de Nîmes, de Vincent Faïta ou la mort
sous les balles ennemies d’autres militants connus.
Cette organisation dans le
camp va permettre également de saboter la production de filets de camouflage
destinés à l’armée allemande.
Au début de 1944, un atelier
a été en effet ouvert avec pour tâche de traiter et de tresser des pailles,
destinées à la confection de Ces filets. Une quarantaine de détenus y sont
affectés d’office. Il n’est pas question pour Pierre Dolla et ses camarades de
fournir un travail productif. Aussi donnent-ils l’exemple sur la façon de
rendre pratiquement inutilisables les tiges de paille. Il suffit, d’un geste
rapide avec le couteau attaché à leur banc et dont ils se servent, de fendre
longitudinalement la paille, pour la rendre inutilisable. Au bout d’un certain
temps, les pertes seront tellement importantes que l’atelier devra être
fermé...
Au printemps de cette même
année, les détenus de Mauzac rêvent de plus en plus à la liberté et brûlent de
participer aux combats décisifs qu’ils sentent proches. Mais l’idée d’évasion
collective qui les anime depuis toujours ne peut se réaliser qu’avec l’aide de
la Résistance extérieure ~ la prison. Ils savent d’ailleurs pouvoir compter sur
elle et un événement vient les conforter dans cette opinion.
L’un des gardiens est en
effet un milicien notoire. Etant à l’origine de la déportation de plusieurs
résistants, Sa condamnation à mort a été signifiée depuis le gouvernement
provisoire d’Alger. L’ayant appris il a décidé de vivre en permanence à la prison
où il pense être en sécurité. Peine perdue. Un jour, des maquisards déguisés
viennent s’emparer de lui, l’emmènent et l’exécutent à l’entrée de Lalinde.
Tout en démontrant les possibilités des patriotes, cela refroidit
considérablement les ardeurs des autres gardiens.
Le camp compte alors
environ 600 détenus, répartis dans une dizaine de dortoirs. Outre la bonne
trentaine de communistes et autres "politiques " encore
présents, la plupart des prisonniers, comme dit plus avant, sont des Condamnés
à titre militaire pour des motifs les plus divers, souvent bénins. Mais il y a
également des " droit commun ", gens de la pègre
et autres individus destinés au bagne de Cayenne, peu fréquentables...
Pierre Dolla a été désigné
pour diriger la préparation de l’évasion du groupe des " politiques ".
Tout doit être prêt lorsque des circonstances favorables se présenteront pour
la Résistance extérieure.
A ce stade, la plus grande
prudence s’impose afin d’éviter des réactions brutales des Allemands toujours
puissants à Bergerac et qui pourraient avoir des conséquences dramatiques.
La liaison avec l’extérieur
est assurée par Louis Gendillou, responsable de corvée à la carrière. Dans la
nuit du 6 au 7 juin, Dolla est informé par un gardien ayant des sympathies pour
la Résistance du débarquement allié en Normandie. La nouvelle provoque
l’effervescence dans le camp et une joie immense dans les cœurs des patriotes
emprisonnés.
Au début de l’après-midi il
apprend que l’évasion aura lieu le soir même, dès qu’interviendra l’unité de
l’AS., commandée par Cerisier, chargée de l’opération.
L’atmosphère devient lourde et tendue à mesure que passent les heures. Les
gardiens sont devenus très nerveux et Pierre Dolla est appelé à la guichetterie
où il subit une fouille en règle. Puis c’est l’arrivée d’un important renfort
de gendarmes en provenance d’Agen, venus officiellement pour renforcer la
sécurité, mais dont le comportement ultérieur surprendra agréablement.
Après la gamelle du soir,
enfermés dans leurs dortoirs respectifs, Dolla et ses camarades promis à la
délivrance, vivent des heures interminables. S’efforçant de rester calmes au
milieu des autres, de ne rien laisser paraître et de maîtriser leur impatience,
faite d’espérance mais aussi d’angoisse. Chacun a reçu des instructions
concernant son action dès que le moment sera venu,
Le signal indiquant le
début de l’attaque de la prison par l’extérieur est enfin donné. Dans son
dortoir Dolla manifeste son autorité et ordonne à tous les détenus de se tenir
devant leur lit. Brandissant une sorte de grand coutelas, fabriqué en cachette
à la forge avec une pièce métallique, il se dirige vers, les cinq ou six
dangereux gangsters détenus, qu’il convient de neutraliser.
S’adressant à celui qui est
considéré comme leur chef il lui dit avec la plus grande fermeté d’avoir à se
tenir tranquille s’il ne veut pas avoir de très graves ennuis. Celui-ci tiendra
compte de l’avertissement, ainsi que ses acolytes.
Pendant que plusieurs
compagnons de Dolla l’entourent et le protègent, d’autres entreprennent
d’enfoncer la première porte. Une force irrésistible semble animer le petit
groupe. Dehors, des coups de feu crépitent un peu partout. Les hommes du maquis
" Cerisier " ont attaqué simultanément le poste
de garde, les fortins et les miradors.
La première porte enfoncée,
les gens de l’intérieur s’en prennent à la deuxième, donnant sur l’allée
centrale, se servant de leurs bancs comme de béliers. C’est à ce moment-là que
le chef geôlier Placentini surgit, son revolver à la main, menaçant d’abattre
Doua s’il ne se retire pas. Mais les premiers maquisards en armes arrivent
encourant. Leur chef est à leur tête. Dolla lui adresse le signe de
reconnaissance convenu. Le responsable des attaquants a vu le manège du maton.
Il réagit vivement en pointant sa mitraillette vers le dos de ce dernier, puis
le fait désarmer par deux de ses hommes qui l’emmènent.
La deuxième porte
maintenant forcée, le passage est libre. Dolla sort, se fait mieux connaître et
part, en compagnie de " Cerisier ", libérer les autres détenus
politiques répartis dans les différentes divisions de la prison où les
événements n’ont pas pris une tournure aussi rapide. Puis tous sont bientôt
réunis sous la protection des maquisards et patriotes en armes qui maîtres de
la situation, ont envahi les allées. Et ils commencent seulement à réaliser que
leur emprisonnement se termine. C’est à ce moment-là qu’ils aperçoivent avec
étonnement les gendarmes arrivés en renfort l’après-midi en train de prêter
main-forte aux Résistants, pour neutraliser les gardiens et les G.M.R.
Après s’être assurés que
tous les patriotes emprisonnés sont rassemblés les responsables les font
embarquer dans deux camions à gazogène qui les conduisent phares éteints, vers
la liberté, et le combat.
En effet, dit Pierre Dolla,
"à partir de ce moment, le matricule 3 448 qui était le mien,
n’existait plus. Le maquisard "Azur " l’avait
remplacé ".
L’opération terminée, le
camp de Mauzac sera repris en main par les autorités "officielles "
mais sans grande conviction. A sa libération définitive, le capitaine
Chaussat en prendra le commandement et un certain nombre d’agents de la
collaboration y seront à leur tour internés. Quant aux gendarmes agenais dont
il est question plus haut, ils ont immédiatement rejoint le maquis et participé
ensuite aux combats pour chasser définitivement l’ennemi du sol régional.
Mauzac en Périgord, petit
village situé entre Périgueux et Bergerac a le redoutable et triste privilège
d’abriter sur ses terres le célèbre camp concentrationnaire où sont détenus des
résistants, des politiques et des droits communs.
Cancer incrusté dans un
corps sain, ce camp implanté sur les terres d’où Jacquou le Croquant lança le
signal de la révolte contre l’occupant, nargue un des fiefs de la Résistance.
Baraquements en planches,
perméables au chaud, au froid, aux courants d’air, barbelés, miradors, ce camp
n’a rien à envier aux camps de concentration que le monde découvrira plus tard
(à l’exception notable des chambres à gaz …).
Une discipline de fer y
règne qui s’applique surtout aux détenus résistants et politiques. Malgré cela,
en mars 1942, une quinzaine de patriotes ont pu s’échapper et rejoindre le
Maquis. Les droits communs qui n’intéressent pas la Gestapo sont laissés
relativement tranquilles ; les autres, fournissent la matière première
nécessaire aux otages et aux pelotons d’exécution. Ils gardent néanmoins un
moral d’acier et leurs cellules sont reconnaissables aux quolibets et aux
chants patriotiques qui fusent à l’adresse des geôliers.
C’est là que je
"débarque " avec deux pelotons de gendarmerie ; notre
mission consiste à surveiller nos pauvres camarades internés.
Bien qu’appartenant à la
Century Valmy, je me mets immédiatement en relation avec le Capitaine Cerisier,
commandant le groupe de résistance du secteur. Il m’apprend que nous aurons
prochainement la mission de libérer du camp les prisonniers politiques et
résistants ; notre mission à nous, gendarmes, consistera à neutraliser les
gendarmes qui opposeraient une résistance imprévue ainsi qu’à saboter les armes
automatiques du Camp.
Début juin, le plan est mis
à exécution. Aidés par des groupes venus de l’extérieur, nous pouvons libérer
tous les détenus politiques et résistants. La tâche n’est pas des plus faciles.
Six gendarmes en tout participent activement à l’opération : le peloton de
Foix fournit quelques gendarmes (Miconet, Labasque, Jansac, tous trois tués),
mes camarades Marty, Lefèvre, Carlier, Jansac et moi-même ; six sur deux
pelotons de 60 hommes ! Les autres, malgré l’injonction du Capitaine
Cerisier ont préféré rejoindre Périgueux où les attendent leur solde et leur
quiétude.
Le coup de main terminé,
nous n’avons plus qu’à disparaître avec armes et bagages. Au moment de quitter
le camp, comme je passe le portail, deux gradés m’intiment l’ordre de rester où
de restituer mes armes. Comme je leur explique que j’en ferai un meilleur usage
qu’eux pour combattre l’ennemi, la situation devient vite explosive et c’est
sans doute l’intervention d’un jeune sous-lieutenant qui m’évite la déportation.
Ces duettistes n’ont pas oublié de nous porter déserteurs et c’est grâce à la
générosité d’amis brantômais qu’à partir de ce jour là, ma femme et mon fils
ont pu survivre.
Je les ai retrouvés, ces
tristes sires, deux ans plus tard promus aux grades supérieurs de Commandant
pour l’un et adjudant-chef pour l’autre ! Peut-être ont-ils fait valoir
leur conduite héroïque dans la libération du camp ? qui aurait pu les
contredire ? Nous étions à ce moment là entrain de continuer la lutte outre
Rhin, dans la Forêt Noire. La gendarmerie a donc, comme beaucoup
d’administration son quota de héros, de médaillés militaires, de médaillés de
la résistance et de croix de guerre. Quant à moi, ma participation m’a valu non
seulement d’être porté déserteur, mais aussi d’être classé comme
"communiste dangereux ". Sept ans après mes supérieurs ont su me
le rappeler.
Le jour même de la
libération du camp, nous avons rejoignons Lalinde où l’on nous affecte dans
différents groupes comme cadres. Je suis personnellement affecté à la Compagnie
du lieutenant Vaunac qui me confie le commandement d’une section.
Cela fait, nous défilons au
complet dans la ville pour rendre les honneurs au monument aux morts. Minute de
silence émouvante ; les gens pleurent autour de nous, le cœur rempli
d’espoir, appelant la libération.
Nous sommes pourtant loin
du compte et le chemin vers la liberté se teintera encore du sang des
patriotes.
Le temps de percevoir un
armement sommaire, quelques fusils mitrailleurs et quelques armes
individuelles, le temps de former à leur maniement quelques volontaires, et
c’est le départ vers Mouleydier où nous devons relever la compagnie FTP
" Soleil ".
Mauzac, Lalinde,
Mouleydier, villages situés à proximité de Bergerac. Autant de nids de vipères
infectés de Gestapo, de Miliciens, des SS de Das Reich, qui montant en
Normandie voulent à tout prix le contrôle des voies de communication.
L’ennemi
repoussé aux portes de Mouleydier
(tiré du livre Francs
Tireurs et Partisans Français en Dordogne)
C’est par une participation
particulièrement efficace à la bataille autour de Mouleydier que le bataillon "
Soleil " va "étrenner " de façon significative
son entrée officielle dans les forces FTP. Comme l’on sait, l’ennemi a dépêché
sur le secteur bergeracois et en Sarladais d’importants éléments de sa 11éme
division blindée en vue d’anéantir les unités combattantes de la Résistance.
Ici il va s’agir de la formation Kopp qui sera suivie par la formation Bode.
Le vendredi 9juin, Hercule
est revenu en visite au PC de "Soleil " et a demandé qu’à
partir de cette date des rapports lui soient envoyés régulièrement. Il est à
peine reparti que les événements fournissent une matière abondante. L’AS. de
Lalinde vient en effet de solliciter Coustellier pour qu’il vienne renforcer le
dispositif le long de la Dordogne, à l’est de Bergerac. Le chef du bataillon
accède à cette demande qui lui permettra de faire rayonner les couleurs et
l’action F.T.P. dans cette région et peut-être de récupérer des armes à
l’occasion. Deux détachements prennent donc la route de Lalinde où ils
parviennent le samedi 10. De là, ils sont dirigés sur le P.C. de Loupias, dit
" Bergeret ", qui commande les forces de l’AS. Celui-ci
voudrait que " Soleil " aille renforcer un barrage qui a été
attaqué à 2 km de Bergerac. La chose est entendue, des armes sont
attribuées aux F.T.P. qui iront prendre leur poste dès le lendemain, En
attendant, le chef de bataillon et ses hommes vont finir de passer la nuit dans
un cantonnement de Mouleydier. Mais la nuit sera courte et la mission prévue
n’aura pas lieu...
Ce dimanche matin 11juin,
le commandement allemand envoie en effet d’importants éléments des deux côtés
de la rivière avec, semble-t-il, Mouleydier et son pont comme objectif,
Il n’est pas 6 heures de
matin lorsque les premiers véhicules ennemis se heurtent à une sentinelle de
l’AS, en poste à Cours-de-Pile. Celle-ci donne l’alerte en tirant une rafale.
Les Allemands entrent en action à leur tour et bousculent les F.F.I. qui
tentent de leur résister dans leur progression vers Mouleydier. Les
détachements du bataillon "Soleil ", réveillés eux aussi par le bruit
de la fusillade qui se rapproche, sont vite sur pied de guerre sous la
direction de leur chef, Ils prennent d’abord position sur le pont en compagnie
des "légaux " qui ne se sont pas repliés et "Soleil
" prend la direction des opérations. Entre-temps, deux camions
allemands ont déversé leur contenu de soldats bien armés à environ 500 mètres
et qui se déploient en vue d’encercler les défenseurs de l’ouvrage. Ils tirent
violemment sur ceux-ci qui ripostent de leur mieux. Un homme est blessé, Devant
la gravité de la situation, "Soleil " ordonne à "Olivier
" chef de l’un de ses détachements, de contre-attaquer en passant
le long de la rivière. Celui-ci réalise immédiatement a manœuvre. Il a parcouru
400 mètres avec son groupe de combattants lorsqu’il aperçoit un renfort ennemi
qui arrive par la D. 37. Il est composé d’un camion et d’une chenillette. Trois
F.T.P. sautent dans le fossé qui borde la route et lorsque le camion
arrive à portée, ils bondissent au milieu de la chaussée et mitraillent presque
à bout portant le conducteur et les occupants, causant des pertes dans leurs
rangs et semant la panique. Le véhicule immobilisé, ils s’éloignent rapidement
tandis que deux de leurs camarades neutralisent la chenillette qui essayait en
vain de se protéger derrière le mur d’une grange. La réussite de cette
contre-attaque a été confirmée par la suite par R. Guérin, responsable de l’AS,
à qui elle a permis de quitter le champ de blé où il était "cloué "
depuis deux heures et de rejoindre les hommes de son groupe, sur l’autre
rive de la Dordogne. Les éléments ennemis précédemment arrivés continuent à
mener l’attaque de la tête de pont dont a situation est précaire. " Soleil
" décide alors de replier ses hommes sur la rive droite, où ils
prennent position le long des berges. Une barricade est édifiée à l’entrée du
pont, afin d’en interdire l’accès et six combattants restent pour la défendre.
Les Allemands semblant renoncer à forcer le passage, les F.T.P. en profitent
pour ramener également leur blessé. Mais cela va se solder par deux blessés
supplémentaires, par suite d’une erreur des autres FFI qui, croyant tirer sur
l’ennemi, ont envoyé un projectile antichar dans leur direction.
A ce moment-là, un groupe
franc de l’AS composé d’une quarantaine d’hommes et commandé par l’aspirant
Durieux, est arrivé à Mouleydier par la rive droite. Avec les maquisards de
"Soleil " ils vont avoir à faire face à une attaque venue
cette fois par le nord, côté Saint-Sauveur, L’ennemi est arrivé avec trois
camions et une voiture d’officiers. Au passage dans a petite commune précitée,
la colonne allemande s’est livrée à des exactions, tuant un habitant et
incendiant une maison. René Coustellier fait rappeler la plupart des hommes qui
avaient été placés sur la rive et, avec "Olivier " à leur
tête, ils partent à l’assaut de la pente en haut de laquelle les soldats
ennemis sont en position. Faisant preuve d’héroïsme, se battant à la grenade,
ils parviennent à gravir le coteau au prix de trois morts. " Olivier
" est lui-même blessé. Sous un feu intense les F.T.P. conservent
les positions acquises. Les Allemands tirent des fusées qui paraissent
signifier une demande de renforts. " Soleil " en a
réclamé également par téléphone à Belves. Mais, à 9 h 30 aucune aide n’étant en
vue, le chef des F.T.P. envoie une nouvelle fois ses francs-tireurs à l’attaque
sous la conduite de Dessalien, dit "rase-mottes ", qui a pris la
place d’Olivier". Le groupe de l’AS participe également à cette action et
neutralise d’un coup de bazooka un fusil-mitrailleur adverse. Les Allemands
sont repoussés, même si les tirs mal coordonnés de l’unité amie ont parfois
gêne l’action des hommes de "Soleil ".
Sérieusement étrillé,
l’ennemi abandonne alors le terrain en emportant ses morts et blessés. A Il h
30 le calme est revenu. Du côté des maquisards, la bataille a coûté finalement
quatre morts aux F.T.P., l’un des blessés ayant succombé. Il s’agit de Louis
Diaz Navarro, de Jacques Bauer, de Marcel Magnanou et de Roger Cros âgé de 20
ans. Ils seront inhumés le lendemain mardi. Mais pour l’heure
"Bergeret" vient sur les lieux et félicite les combattants.
Peu après 14 heures, René Coustellier regagnera sa base en laissant à
Mouleydier deux autres détachements finalement venus en renfort et qui prennent
la relève sous le commandement de Nazembaum, dit "Maurice " adjoint
du chef de bataillon.
Les jours suivants le
secteur restera calme et plusieurs réunions auront lieu, notamment le mercredi
suivant au Buisson. A celle-ci assistent les représentants du 5ème bataillon
F.T.P. et ceux de l’Etat-major de "Bergeret ".Des divergences
se font jour en cette occasion à propos de la tactique et de l’influence que
prennent les F.T.P. On sait que ces derniers ont très vite appliqué sur le plan
départemental, suite aux opérations désavantageuses du début du mois et de la
répression ennemie sur la RN. 89, les directives concernant le retour "dans
les bois " et recommandant de ne plus livrer de batailles rangées sur
des barrages visibles compte tenu de la disproportion des moyens. " Soleil
" retirera donc ses forces de Mouleydier et il prépare par ailleurs
une opération en Lot-et-Garonne.
Les forces allemandes
maintenant présentes à Bergerac en grand nombre n’entendent pas rester sur leur
échec du 11 juin autour de Mouleydier. Du côté des résistants, la logique
voudrait, qu’après cela surtout lorsqu’on examine les événements avec le recul
des dizaines d’années qui nous en séparent, les directives concernant la
reprise d’opérations de guérilla classique, transmises également par le
commandement de l’AS., soient strictement mises en application. Or, sur le
terrain, certains chefs militaires de cette organisation, la plupart anciens
cadres de l’armée française, ont du mal à se soumettre à l’idée de regagner le
couvert de la forêt et à cesser l’obstruction des routes par des barrages fixes
et vulnérables. Et il est également question de protéger une opération
(d’intoxication) aéroportée dans le sud-ouest... Aussi verra-t-on se rassembler
autour de Mouleydier, après les affrontements du 11, d’importants effectifs
venus des cantons environnants ainsi que du Lot, d’Eymet, de Beaumont, de
Belvès... Un PC, a même été établi dans la petite localité du bord de la
Dordogne. Il est évident que si l’on avait soupçonné à ce moment-là la suite
des événements d’autres dispositions auraient été prises. -
Or, dès 5h30 du matin le
21juin, l’ennemi apparaît sur la rive gauche venant de Cours-de-Pile. Des
camions ont déversé des fantassins qui se déploient dans la plaine et ils sont
appuyés par des automitrailleuses et des blindés. Les F.F.I. postés sur leur
route sont rapidement bousculés et se replient de l’autre côté de la rive tout
en perdant des hommes, St-Germain-et-Mons est investi et occupé dans la
matinée. Puis l’ennemi, qui tire sans discontinuer au canon et à l’arme lourde
passe le pont et pénètre dans Mouleydier. Les nazis qui sont accompagnés de
miliciens, vont alors commencer par rassembler la population, à séparer les
hommes des femmes, à répertorier ceux qui n’habitent pas la localité et qu’ils
qualifient de terroristes, à piller les maisons dont le contenu est chargé dans
des camions qui partent vers Bergerac. Cela dure toute la journée pendant laquelle
des combats sporadiques se poursuivent aux alentours et au cours desquels
l’ennemi fait des prisonniers. La plupart seront sauvagement fusillés avant la
tombée de la nuit, soit à Mouleydier, soit sur le pont ou aux Jabouilles de
Saint-Germain. Avec les tués durant les affrontements, combattants ou non, on
va dénombrer une quarantaine de morts sur le territoire des deux communes,
engagés dans la résistance pour la plupart. Par ailleurs, plus de cent hommes
et jeunes gens ont été emmenés à la caserne Chanzy où ils subiront des
interrogatoires sévères durant plusieurs jours avant d’être relâchés au
compte-gouttes. Mais, pour parachever son œuvre, la troupe nazie mettra le feu
aux deux petites bourgades, ne laissant derrière elle que ruines fumantes...
Les jours suivants, les Allemands justifieront ces actes de barbarie en
affirmant que cela a été fait "dans l’intérêt de la population française,
amoureuse de paix et de tranquillité
Le revers subi à Mouleydier
et à Saint-Germain ne sera malheureusement pas le seul en cette journée
tragique du 21juin, puisque d’antres éléments de cette même formation Bode sont
partis à la poursuite de forces de l’AS. qui se repliaient sur les hauteurs de
la rive droite, vers Pressignac-Vicq, à une dizaine de kilomètres. Ils surprendront
ou bousculeront trois groupes de combattants et 33 d’entre eux seront tués
ainsi qu’une femme de 71 ans, Jeanne Fraissange, abattue dans la rue. Pour la
Résistance tout entière, quelles qu’aient pu être les circonstances, c’est un
coup très dur qui vient de lui être porté.
Trois jours après la
destruction de Mouleydier, le 5ème bataillon est de nouveau
confronté à l’ennemi. Le vendredi 23 juin, vers 20 heures, le PC. situé à l’est
de Siorac est informé que trois chenillettes allemandes sont à Limeuil, au
confluent de la Dordogne et de la Vézère. La nuit sera calme mais à 8heures le
lendemain matin, des forces importantes sont à nouveau signalées. Elles font
mouvement vers le sud et ne sont qu’à 10km du poste de commandement. Les trois
compagnies F.T.P. sont immédiatement rassemblées et préparées au combat.
La 2ème part avec "Soleil " sur la route Siorac-Le
Buisson, place des mines sur celle-ci et se met en embuscade sur le coteau
dominant. La 3ème commandée par "Maurice ", se
dirige vers le pont sur la Dordogne, qui est miné à toute vitesse. La 1ère
compagnie est gardée en réserve, Laissant l’unité de la route du Buisson sous
la direction de " Rase-mottes ", René Coustellier
rejoint les "artificiers " et les aide à terminer leur
travail. Il n’est que temps puisque l’on entend les blindés de tête qui
s’approchent par la route de Coux-et-Bigaroque. Ce sont apparemment des
éléments de la formation Bode qui poursuivent leur offensive et vont à la
rencontre de la colonne Wilde qui "nettoie " le Sarladais. Elle
est équipée de chars d’assaut ce qui la rend encore plus redoutable.
Les "boîtes à
musique " étant en place à l’entrée du pont, côté rive droite, les
FTP se sont retirés sur l’autre bord avec le système de mise à feu. Peu de
temps après, un char et trois blindés légers progressent vers l’ouvrage tandis
que le reste de la colonne stationne au carrefour des routes Siorac-Le Coux et
Siorac-Saint-Cyprien. " Maurice " a saisi les
"allumeurs ", pendant que les hommes se placent en éventail.
Le "panther " de tête s’avance de cinq à six mètres sur le
pont. " Soleil " ne donne pas l’ordre d’appuyer sur le
contacteur. Il est trop gourmand et veut deux ou trois blindés de plus dans la
zone minée. Hélas, le char évente le piège, stoppe et fait une rapide marche
arrière. Des soldats de la troupe ennemie se sont approchés pour observer et
l’un d’eux qui était monté dans un arbre, se met soudain à tirer au
fusil-mitrailleur sur les maquisards qu’il a distingués sur l’autre rive. Mal
lui en prend, car une rafale expédiée par l’un des F.M. de la compagnie
l’atteint et l’abat sur le sol. Cette riposte a pour effet de déclencher le tir
des pièces des blindés précédemment stoppés. Ils bombardent l’autre rive sans
arrêt et sans grande efficacité tandis que le reste de la colonne prend le
parti de rejoindre Saint-Cyprien afin de franchir la Dordogne sur le pont du
Garri qu’un groupe de l’AS. doit abandonner. La menace est grande pour le PC.
Du 5ème bataillon qui est en passe d’être contourné. Il est rapidement
évacué par la compagnie qui s’y tenait en réserve.
Les attaquants du pont de
Siorac n’ont malgré tout pas renoncé et trois de leurs hommes se sont approchés
des explosifs, dans l’intention de les désamorcer, Ils ne se doutaient pas que
le dispositif gardait son efficacité et que les F.T.P., de l’autre côté,
n’avaient pas fui sous la pluie d’obus et tenaient toujours en main l’allumeur.
Sur un signe de "Soleil ", la mise à feu est déclenchée et les
trois Allemands sont volatilisés. Une épaisse fumée se répand, ce qui permet à
la troisième compagnie de se replier sur la voie ferrée et de reprendre
position. Où elle se voit très vite renforcée par la Ire venue du PC. Une heure
après, la fusillade fait encore rage. Cependant, la menace ennemie se précisant
de plus en plus en provenance de ‘Est, l’ordre de repli général est donné au 5e
bataillon qui vient de faire une nouvelle preuve de Sa valeur combative.
Dans l’affaire, un seul homme a été blessé.
Après les événements de la
deuxième quinzaine de juin, le 5e bataillon poursuit son renforcement.
Cela se concrétisera par la constitution, au début du mois d’août, du 12e
bataillon, les effectifs passant à ce moment-là à près de 600 hommes.
L’activité militaire de combat est réduite par le fait du départ des forces
ennemies qui, après les massacres perpétrés dans toute la vallée de la
Dordogne, ont pratiquement abandonné le secteur à la Résistance. Elles
n’effectueront plus que de rares incursions, comme le 3 août ou le 18 de ce
même mois, où les hommes de "Soleil " détruiront deux canons
et une moto et infligeront de sérieuses pertes aux Allemands sur les routes de
Sarlat et entre Gourdon et Fumel. Et le 16, un élément du bataillon se portera
jusqu’aux abords de Sainte-Foy-la-Grande pour soutenir les glorieux combats
livrés par l6e bataillon qui aboutiront à la libération de l’importante
localité et à la fuite définitive de l’ennemi. Et ce sera la participation à
l’investissement de Périgueux puis à la poursuite des occupants au-delà de la
ville. Le 13e bataillon commandé par Rubens, dit " André "
a été mis sur pied à son tour et ses éléments se distingueront à Razac, à
Neuvic, à Saint-Astier où le 20, ils libéreront 12 maquisards et feront 5
prisonniers allemands. Puis ce sera la marche ininterrompue vers l’Atlantique à
la poursuite de l’ennemi, la création du 4e régiment et l’intégration au
108e R.I. où les P.T.P. de "Soleil " continueront à briller
d’un vif éclat jusqu’à la Victoire.
Mouleydier
village martyre par Louis Foxonet
Copie de l’article paru
dans Nestor du 5 avril 1948.
Résistants, maquisards,
chers lecteurs de " Nestor ", ce récit vous est fait par un
combattant qui a vécu cette tragédie, de la première balle tirée, à la
destruction complète de Mouleydier et au massacre de la majeure partie de ses défenseurs.
Ces souvenirs sont si
pénibles que ce n’est qu’à la demande de quelques-uns des nôtres que je me
résous à les publier.
Dix Neuf juin 1944, cinq
heures du matin (date à jamais gravée dans ma mémoire). L’aube se lève, le
silence le plus complet règne et, seuls les rossignols déchirent de leurs
chants matinaux cette douce quiétude.
Le village est encore
endormi, un épais brouillard couvre la Dordogne qui coule à nos pieds. Nous
sommes en position depuis la veille dix sept heures, heure à laquelle nous
avons relevé une compagnie FTP. Deux compagnies sont placées sur les hauteurs
qui dominent Mouleydier, la troisième, la nôtre, est en renfort dans le parc.
Le P.C. est au centre du village. Quelques sentinelles placées aux avant-
postes veillent, l’oreille tendue. Après un tour de ronde, rien d’anormal n’est
à signaler.
Mais ce silence n’est que
passager. Alerte …On entend au loin le grincement des chenilles des chars
ennemis qui s’approchent. " Ce sont des chars ennemis qui se
dirigent sur Beaumont " me dit mon commandant de compagnie.
" Le secteur est bien gardé nous n’avons rien à craindre ".
Soudain, quelques coups de
feu tirés par les avant-postes nous sortent de cette certitude :
" Tenez votre section prête, je vais demander du renfort ",
me répète mon commandant de compagnie, le lieutenant Vaunac.
Nous faisons face à
l’ennemi qui avance sur nous chassant les premiers P.A. Le pont traversant le
fleuve est solidement tenu par deux fusils-mitrailleurs. Tout est prêt,
l’ennemi ne passera pas. Le calme relatif revient pendant trente minutes, nous
attendons palpitants et anxieux, toujours à l’affût de quelques infiltrations
ennemies. Ce laps de temps écoulé, nos armes se mettent à tirer, les brutes
sont sur l’autre berge et essayent de s’engager sur le pont. Leur tentative
échoue, ils battent en retraite. Puis, plus rien, le calme règne à nouveau.
Que préparent-ils ?
Nous ne resterons que quelques minutes dans l’attente angoissante. Soudain, par
un haut-parleur placé dans une ferme sur l’autre rive, une voix caverneuse se
fait entendre. Elle nous donne dix minutes pour nous rendre et exécuter ses
ordres :
" Rendez-vous,
vous êtes vendus par vos chefs terroristes qui vous trompent. Ceux qui se
rendront seront pris sous notre protection, ceux qui seront pris les armes à la
main seront considérés comme francs-tireurs et abattus comme tels ".
Comptant les minutes, elle
reprenait :
" Plus que neuf,
plus que huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux " et à la fin du
compte à rebours, nous recevons une pluie de projectiles, un déluge
d’artillerie : mortiers de 81mm, chars 35 tonnes, automitrailleuses,
toutes ces armes tirent sur nous. Autour de nous, les murs des maisons volent
en éclat.
Cela n’atteint pas notre
moral et dans une réplique ultime, toutes nos armes se mettent à tirer.
Petit à petit, à court de
munitions, elles se taisent. Les quatre hommes aux fusils mitrailleurs qui
défendent le pont sont tués à leur poste de combat. Deux automitrailleuses nous
contournent par le sud et entrent dans le village ; tout contact est
perdu entre nous, c’est la fin, nous attendons la mort.
Une partie de la section
est fauchée en franchissant la route, l’autre partie prisonnière, le lieutenant
Vaunac massacré dans son P.C. Seuls deux hommes sortiront de cet enfer,
Malgaches et moi, grâce à des buissons suspendus dans la Dordogne dans lesquels
nous nous sommes dissimulés. De là, nous assistons impuissants à la destruction
de Mouleydier et au massacre des blessés et des prisonniers sur lesquels les
brutes nazies s’acharnent à coups de crosse et de talon. (Par miracle, un de
ces prisonniers a pu s’échapper du peloton d’exécution).
Les râles de nos camarades
d’armes parviennent jusqu’à nous sans que nous puissions leur apporter une
dernière consolation. Le craquement des poutres incendiées et le fracas des
tuiles tombant lourdement sur le sol se mêlent à leurs plaintes. Scènes
horribles et insupportables.
Pauvres Vaunac, Villarmet,
Dondart, Hurteneau, Francès, Labasque, Miconet, Labeur et tant d’autres, tous
héros de la Résistance, morts dans la gloire pour que vive la France dans la
Liberté. Comment ne vous ai-je pas suivi dans la nuit éternelle ? Pourquoi
vous et pourquoi pas moi ? Je me le demande encore.
Ces brutes sanguinaires
fouillent et ratissent tous les recoins, leurs bottes foulent le sol au dessus
de ma tête, faisant tomber la terre friable sur mon épaule gauche. Le canon de
mon pistolet sur la tempe, je suis prêt à tout pour ne pas tomber entre leurs
mains. A mon grand soulagement, ils s’éloignent. Certains camarades, moins
chanceux que moi, sont débusqués. Les jambes brisées par des rafales de
mitraillettes, ils sont ensuite achevés à coup de crosse. Alors que je me crois
sauvé, une barque surgit dans mon dos : une patrouille ! Heureusement
pour moi, il s’agit d’une barque dérivant au fil de l’eau. Ce n’est pas mon
heure.
Après plusieurs tentatives,
je quitte définitivement cet enfer le soir à dix sept heures. Lors de la
première tentative alors que je tente de franchir la route Mouleydier /
Bergerac, une femme maintenue prisonnière auprès d’un fusil mitrailleur
allemand (sortie ouest), attire mon attention et me sauve la vie. Revenu alors
au bord du fleuve, je reprends la direction de Bergerac par un sentier encaissé
mais épuisé par ces dernières vingt quatre heures, je m’évanouis.
Lorsque je reprends mes
esprits, le soleil décline à l’horizon. Seconde tentative, j’essaye de
rejoindre une ferme en bordure de la route Mouleydier/Bergerac. Le passage
m’est refusé par le fermier craignant la destruction de sa maison :
" Ne passez pas
chez moi, ; si les Allemands vous trouvent, ils incendieront ma ferme.
Voyez ce qu’ils ont fait à Mouleydier ! "
" Je sais, j’en
viens ! "
La troisième tentative
enfin ! Je peux gagner le bois de Saint-Sauveur où gisent des cadavres épars
et abandonnés serrant encore leurs armes de leurs doigts raidis. Là, je suis
recueilli par une famille d’Italiens qui me propose de passer la nuit dans une
de leur chambre. Je décline leur invitation pour ne pas les mettre en danger,
accepte leur bol de lait et je passe la nuit au fond du bois. Le lendemain, de
bonne heure, nanti du petit déjeuner qu’ils m’ont offert de bon cœur et
d’informations précieuses sur la localisation d’un groupe proche de résistants,
je prends congé. Le groupe rejoint, j’attends trois heures l’arrivée d’un agent
de liaison motocycliste, et avec lui, je peux atteindre l’Etat-major du Bugue
dans la soirée. Là je reprends contact avec quelques survivants notamment mes
camarades Fèvre et Marty qui me croyaient morts dans les ruines de Mouleydier.
Le bilan de cette sinistre bataille est terrible : 58 tués.
Amis maquisards et
résistants, n’oublions jamais nos morts et sachons nous montrer dignes d’eux.
Nous, survivants, avons juré de poursuivre l’œuvre entreprise, soyez sans
crainte, nous tiendrons notre promesse.
Après ces événements, une permission
de quatre jours m’est accordée et comme la compagnie Vaunac est anéantie, je
suis réaffecté à la compagnie Valmy.
Arrivé chez moi de nuit,
amaigri, hirsute, ma femme a eu du mal à me reconnaître et mon fils a refusé
d’embrasser l’étranger que j’étais devenu. Après m’être refait une santé
physique et nerveuse, j’ai rejoint Valmy qui était alors cantonné à La
Taillandière, commune de Vergt.
Arrivé aux avant-postes j’ai
été interpellé par la sentinelle, puis, sous bonne garde, conduit au P.C. Le
capitaine Gandoin congédia la sentinelle (" ça va, je suis au
courant ! ") et me nomma chef du second groupe de corps franc.
Je n’avais plus qu’à
rejoindre mon groupe qui se trouvait en position à deux kilomètres de là.
L’accueil n’a pas été des plus chaleureux : en m’apercevant, le petit
Steibler braque son fusil-mitrailleur sur moi et s’écrie avec son inimitable
accent alsacien :
" Izi, pas de
naphtalinar. Nous n’azeptons bas les drouillards ! "
Sans l’intervention de
Dormeyer, le serveur du piat, qui me connaissait et plaida pour moi, je pense
que j’aurais eu droit à une "giclée ". Il est vrai et pour sa
décharge, que le petit Steibler avait trop arrosé une certaine victoire
remportée la veille sur la milice, combat que je citerai plus loin.
J’ai pris cependant le groupe en
main et, quelques jours plus tard, nous étions Steibler et moi les meilleurs
amis du monde, amitié qui dure encore. A chacune de nos rencontres, lors de nos
congrès, il ne manque pas
L’ennemi n’osant pas nous
affronter dans les forêts, il avait parfois recours à des stratagèmes pour nous
en faire sortir. Ce fut le cas lors de l’accrochage que mon ami Steibler avait
trop copieusement arrosé.
La veille de mon arrivée à
La Taillandière, un agent de liaison prévient le capitaine Gandoin qu’un groupe
non identifié occupe une ferme abandonnée à quelques kilomètres de là. Les
hommes composant ce groupe sont torse nu et en short kaki. Ils sont armés de
mitraillettes de type allemand. Le corps franc est désigné pour aller
l’identifier. L’approche est prudente. " Qui êtes-vous ? Ici
France ". La seule réponse est une rafale de mitraillette. Il
s’ensuit un corps à corps au cours duquel mes camarades n’identifient les
opposants que lorsqu’un des leurs, touché, se plie en deux en criant
"maman " !
Ils étaient simplement là
comme leurre ; aux premiers coups de feu, les blindés allemands camouflés
sous les arbres se mettent en mouvement. Notre camion est détruit au canon, nos
amis décrochent et refont le chemin du retour à pieds. Pas de pertes chez nous,
mais le groupe de miliciens est exterminé. Ca s’arrose monsieur Steibler !
A l’instigation de notre
chef Malraux, alias colonel Berger, la brigade Alsace Lorraine (B.A.L) était
née du regroupement des compagnies Ancel, Valmy, Bir-Hakem. Une discipline
exemplaire y régnait. Composée en majeure partie d’Alsaciens et de Lorrains
ainsi que de volontaires Périgourdins, cette brigade allait faire parler
d’elle, depuis le plus profond des bois du Périgord, jusqu’en Alsace et sa
libération. Bien encadrée par des hommes issus en majorité de l’active, au
moral de fer et décidés à vaincre ou à mourir, elle allait poser de sérieux
problèmes aux ennemis de la France et en particulier à la trop fameuse division
Das-Reich.
Nos relations avec Londres
étaient permanentes et nous recevions grâce à de nombreux parachutages
l’armement moderne qui nous était nécessaire. Les agents de liaison suivaient
le même chemin. C’est ainsi que nous pouvions aller traquer le Boche sur son
terrain, lui qui se refusait maintenant à pénétrer dans nos bois.