Après l’Armistice, il est
démobilisé et réintègre la gendarmerie nationale en tant que simple gendarme.
Quand il a quitté le maquis pour se joindre à la première armée, il n’a pas
voulu faire valoir son rôle de Chef de Section ; Il aurait pu (ses
nouveaux compagnons lui demandaient "dis Valmy, t’es
Capitaine ? " ; quand il a quitté l’armée, il n’a pas, de
même, fait valoir ses galons d’Adjudant-chef.
Son seul bénéfice
"matériel ", prises de guerre, a été le suivant :
La carabine et le superposé
ont été vendus pour acheter une moto sensée lui permettre d’aller à la chasse
où il voulait dans la région ; il a gardé jusqu’à sa mort la calibre 12 et
"l’épée du général ". On m’a par la suite volé le fusil lors
d’un cambriolage ; J’ai toujours l’épée qui trône dans mon bureau.
Il est nommé à Mauguio dans
l’Hérault où nous habitons la maison "Vaccaci " jusqu’en 1950.
Là, les souvenirs de la Résistance sont toujours très vifs : le premier
chien que nous avons s’appelle Maquis (Quitou), le premier chat Bazooka
(Zouka).
Il chasse dans les étangs de
Mauguio, à partir des Cabanes, mais la macreuse ne constitue pas un gibier fabuleux.
Il me prend quelques fois avec lui sur les étangs, armé de mon d’un
lance-pierres et d’une boîte remplie de cailloux (les munitions …). Nous
rapportons de ces expéditions des anguilles qui servent au repas de Quitou. Je
garde un souvenir mitigé de ces pauvres bestioles qui, coupées en morceau et
ébouillantées continuaient à bouger.
En janvier 1950, mon frère
Jean-Jacques fait son apparition dans la famille.
Sans lien de cause à effet,
mon père obtient sa mutation pour La Salvetat sur Agoût, toujours dans
l’Hérault ; raison sournoisement avancée par ma mère qui se satisfaisait
pleinement du climat montpelliérain : la chasse !
La Salvetat dans les hauts
cantons de l’Hérault est en effet une région de champs, de forêts, de rivières
où le gibier abonde, du moins à l’époque dont nous parlons.
C’était l’époque des
" Etoile des Neiges ", " Cerisiers roses et
pommiers blancs ", " La tactique du gendarme " … Tino
Rossi - Cerisier rose et pommier blanc!.mp3 Bourvil - La
Tactique Du Gendarme.mp3 Line
Renaud - Etoile des neiges.mp3 La vie s’écoule paisible et
heureuse. Il continue de chasser en se cachant (c’est pas bien de chasser pour
un gendarme) et il va même l’hiver jusqu’à chasser les tourdres (variété de
grives) dans la neige alors que c’est strictement interdit. Tout çà pour situer
la haute opinion qu’il pouvait avoir des règlements … Tous les braconniers de
La Salvetat se souvenaient encore de lui il y a quelques années. Il était par
contre féroce quand il s’agissait de "coincer " quelques riches
mégissiers venus de Castres ou Mazamet et qui se croyaient du fait de leur
position sociale au-dessus des lois. Leurs rejetons n’étaient pas mieux lotis
par ailleurs, pour preuve cette anecdote : La jeunesse castraise
venait passer quelques semaines, l’été, à La Salvetat, à la fraîcheur quand la
canicule tombait sur la plaine. Ces jeunes avaient pris l’habitude de défiler
le soir vers minuit devant la gendarmerie en chantant à tue-tête "j’emmerde
les gendarmes et la maréchaussée ". L’âge moyen canonique des
pandores de La Salvetat, permettait jusque-là de pratiquer cet exercice sans
risques. Ils ignoraient que venait d’arriver un nouveau de 34 ans, pas mauvais
à la course à pied, et qui pouvait tout supporter sauf qu’on le prenne pour une
"bille ". Ce qui devait arriver
arriva ; planque jusqu’à minuit, arrivée des braillards, course à pied, et
retour à la gendarmerie de mon père tenant deux de ces olibrius par le col.
Etant donnée l’heure tardive, les deux inculpés sont mis manu militari en
prison en attendant le lever du soleil. La conscience tranquille, mon père peut
aller se coucher. Vous avez évidemment deviné qu’il avait fait tout çà sans en
référer à quiconque. Le matin, les familles fort
courroucées se présentent à la Gendarmerie où le Brigadier chef découvre avec
stupeur que les geôles sont pleines. Pas de vagues devant les parents
influents, libération des petits chérubins et rapport costaud à l’encontre de
mon père. Première bavure. Deuxième anecdote : Dans toutes les casernes de
Gendarmerie du monde, et encore de nos jours, j’ai vérifié, il y un certain
nombre de tournées de nuit qui doivent être faites. Il est bien connu que c’est
la nuit que se trament les plus noirs complots. Il était d’accord pour les
faire quand la saison était favorable aux braconniers et chasseurs
d’écrevisses, mais en plein hiver ? Une nuit d’hiver donc, il
part avec un collègue pour une tournée vers deux heures du matin sur le plateau
du col du Cabarétou à 1000 mètres d’altitude. Il venait de neiger et la bise
soufflait fort. Dans ces cas-là, même les corbeaux ne sortaient pas et la
tactique consistait à aller passer une partie de la nuit dans une ferme amie du
plateau (toujours Jacou le Croquant et ses fermes !). Au petit jour il
effectuait un repli sur la caserne. Mais … Mais cette nuit là, un
Capitaine malveillant et certainement bien renseigné, vient effectuer une ronde
de contrôle et trouve … personne. Il prétend qu’il a pu se promener sans capote
et sans gants ! Deuxième bavure. Enquête, contre-enquête,
sortie du dossier (souvenez-vous du "communiste dangereux "
après l’affaire de Mauzac), mise aux arrêtes de rigueur pendant un mois et
mutation à la Brigade de Gendarmerie d’Olargues. J’ai toujours regretté pour ma part
la Salvetat, ses bois, ses prairies, sa neige et son givre, l’école communale
et les escadrilles de hannetons empaillés ; c’était l’école de la liberté
et de la nature ou peut-être plus simplement celle de l’insouciance ? Nous arrivons donc tous les
quatre (papa, maman, mon frère et moi !), à Olargues en 1952. La
discipline lui est de plus en plus lourde ; il est vrai qu’en ce temps-là
les Chefs de Brigade ne sortaient pas de polytechnique et que servir sous les
ordres de certains demandait une bonne dose d'abnégation. Il manifesta là aussi
un esprit d’indépendance et d’indiscipline qui, reconnaissons-le, pouvait user
jusqu’à la corde les nerfs de tout supérieur normalement constitué. C’est à partir de cette
époque qu’il a pris la décision de faire valoir ses droits à la retraite
proportionnelle. Plus que trois ans à tirer avant le retour à la vie civile. Hélas, quelque part en Algérie se
déroulait une guerre qui ne disait pas son nom et, en 1955 il part en Algérie
où il est affecté au Kroub dans le Constantinois. Les missions de la
gendarmerie sont là-bas identiques à celles de la métropole quoique plus
dangereuses : deux gendarmes pour accompagner le facteur dans sa tournée
dans le djebel …Il découvre que les Pieds-noirs qui à Nemours en 1938 étaient
tous étrangers, sont maintenant plus français que les Français ; C’est
beau le patriotisme. Il découvre aussi les
arrestations arbitraires, les tortures, les corvées de bois. Il écrit un
jour "nous sommes entrain de faire en Algérie ce contre quoi je me
suis battu de toute mon âme il n’y a pas dix ans ". Bien que faisant son travail
courageusement, nous sentons bien que le ressort n’y est plus. Les prisons du Kroub sont
pleines et les paras y officient. Les informations une fois obtenues, la corvée
de bois n’est plus loin. Un jour, dans cette prison,
un petit gosse de douze ans a été ramassé ; nul doutes sur son avenir
immédiat. Mon père le fait alors échapper sans que personne ne s’en rende
compte et s’aperçoive même de son absence. Quelques temps après, le
FLN lance une attaque généralisée dans le Constantinois et la Gendarmerie du
Kroub est attaquée. Il prend une part
prépondérante à la défense de la caserne ce qui lui vaut la Croix de la Valeur
Militaire avec étoile de bronze. Après que l’attaque a été
repoussée, alors que les corps sont alignés pour identification, il reconnaît
celui du gosse libéré par lui quelques temps avant ; mettant à profit sa
connaissance des lieux, les assaillants l’ont envoyé en tête de l’assaut. Mon père n’avait pas aimé
qu’on se serve de gosses pour faire la guerre ; que dirait-il maintenant que
des musulmans intégristes les élèvent et les forment spécifiquement pour en
faire des kamikazes ? Il revient en France 8 mois
après, convaincu que nous avions perdu l’Algérie. Il était temps pour lui, de
quitter carrière militaire. La Médaille militaire vint récompenser justement sa
carrière. Il reprend contact avec la
vie civile à St Pons, où, sa retraite proportionnelle ne suffisant pas à faire
bouillir la marmite, il ouvre une petite épicerie située au rez-de-chaussée de
la maison que nous venions de faire construire route d’Artenac. Mon grand-père maternel lui
ayant donné la jouissance d’un petit terrain situé à deux kilomètres de la
maison, il le reconvertit en champ d’asperges. C’est ma terreur ; tout se fait
à la pioche ; le fumier de bergerie s’épand à la main… de quoi donner une
vocation d’ingénieur. Lui, tout à sa nouvelle liberté, manie pelle et pioche
avec une facilité qui force mon admiration. Le souvenir de sa jeunesse
d’ouvrier peut-être. Mais tout cela n’a qu’un
temps. La petite épicerie ne rapporte pas ce que nous en espérions ; il
faut donc trouver autre chose. Il sera agent d’assurances
à La Séquanaise, gérant un portefeuille dans une zone géographique couvrant
l’Hérault et une partie de l’Aude. C’est un travail qui lui va comme un gant.
Deux jours par semaine un contrôleur l’accompagne en tournée et, à deux, ils
démarchent des clients qui très rapidement deviennent des amis. Le reste de la
semaine, il gère son portefeuille et vaque à ses encaissements. Autrement dit,
il est en fin libre de faire ce qu’il veut quand il veut. Très rapidement, il devient
chargé de mission et s’occupe exclusivement de la gestion des sinistres
(IARD : Incendies, Accidents, Risques Divers). L’aisance commence à faire
son apparition et, un jour de 1962, comme je revenais de Toulouse où j’étais en
Faculté, mes parents me font la surprise de leur premier poste de télévision.
Un certain feuilleton "les Pierrafeux " y tenait la vedette ;
les héros en étaient Barney et Wilma ; depuis cette époque mon père n’a
plus été que Barney et ma mère Wilma. C’est aussi l’époque de la première
voiture neuve, une P60 (Simca). Son travail, la télé, la partie de
rami et le vichy menthe du soir au café de France, la vie s’écoulait
paisiblement. Toujours de gauche, il est
sollicité pour faire partie d’une liste socialiste lors d’élections
municipales. Heureusement pour lui, la liste est battue. Puis, mon frère et moi nous
marions ; mon frère reste à St Pons où mon père essaiera quelques temps de
l’intéresser, en vain à la gestion de portefeuille. Moi, sans aller très loin,
je pars à Narbonne où je prépare une hypothétique licence de physique en étant
surveillant d’externat. Monette est, elle, maîtresse auxiliaire au lycée de
filles. Nous en profitons pour faire deux magnifiques petites filles, Corine et
Nathalie. Nous continuons à nous voir
tous les dimanches, puisque je joue au rugby dans la "grande "
équipe de St Pons dont il est un des dirigeants fondateurs. Il n’a toujours
rien perdu de son caractère. Lors d’un des derbys St Pons / Bédarieux qui se
jouait à domicile, mon père tient la place d’arbitre de touche. Les spectateurs
bédariciens qui sont immédiatement dans son dos (pas de barrières à cette
époque), le suivent et le harcèlent jusqu’au moment où … je vois quelques
coéquipiers quitter le terrain pour se précipiter … au secours de mon père qui
entouré de quatre ou cinq adversaires se débattait à qui mieux mieux. J’en fais
autant et, au bout de dix minutes, le match reprend. Nous arrivons tous les
deux vers 18 heures à la maison, lui, la cravate coupée au ras du nœud, la
chemise tâchée de sang, et moi avec un magnifique cocard. Verdict de la mater
familias "vous avez bonne mine ; prenez un ballon pour chacun et
qu’on n’en parle plus. " Les femmes n’ont jamais rien compris au
rugby ! Puis, nous devons nous exiler dans
la région parisienne pour tenter de nous faire une situation plus pérenne que
celle de surveillant. Nous y restons en gros 9 mois, puis, les méditerranéens
se fanant de plus en plus sous les nuages de l’Essonnes, je décide de faire
enfin mon service militaire alors que Monette retourne à Toulouse avec nos deux
enfants et y termine sa licence. Je ne revois alors mon père que de
temps en temps, lors de permissions toujours trop courtes. Il accompagne ma
femme certains samedis soir quand elle vient me chercher à la gare de Béziers.
Ils mettent à profits ces voyages pour se faire des confidences auxquelles je
n’ai jamais eu accès ! Je la soupçonnerais d’en savoir plus que moi sur
certains aspects de notre vie de famille passée. Le temps passe ; il est des
premiers à pouvoir bénéficier de la préretraite à 60 ans. Il a déjà fait
construire une villa à Caves, le village de son enfance et là, à l’abri, entouré
des pierres et des amis de toujours, il savoure les joies de la retraite en
attendant le passage des palombes. J’ai pour ma part rejoint
les rangs d’IBM à Montpellier depuis 1968, ma femme est professeur, et nous
sommes pris par nos métiers respectifs, nos gamines et notre vie de
trentenaires.. Nous le voyons de temps en temps, toujours trop vite, et il
marque beaucoup d’attachement à ses deux petites filles. Mais il ne le montre pas,
par pudeur peut-être. Il a commencé à rédiger ses
"mémoires ", m’en parle un peu, pas trop, et je n’ai pas
l’intelligence de passer plus de temps avec lui, pour mettre en forme,
questionner, en un mot pour m’intéresser à ce qu’il fait. Bien évidemment, il
ne s’en plaint pas. Le temps passe, fait de
rencontres dominicales où avec ma mère, ils viennent déjeuner à Teyran et
repartent vite après un petit somme réparateur "il faut être rentré avant
la nuit ". Et puis, arrive cette année
1981. Nous sommes invités à
passer la journée à Caves en famille et nous devons y arriver dans la matinée.
Nous sommes prêts à partir quand un collègue me propose une matinée d’avion.
C’est trop tentant et je téléphone aux Caves pour me décommander et dire que
nous arriverons dans l’après-midi. Ce que nous faisons, mais
comme l’heure du retour sera tardive, nous laissons les filles à Teyran :
il y école le lendemain. Nous arrivons aux Caves vers 18 heures et j’y trouve
mon père très contrarié de ne pas voir ses petites filles. Manifestement il n’a
pas apprécié. Je le trouve nerveux, tendu. Le repas se termine et nous
repartons. Je ne devais plus jamais le revoir
vivant. Trois jours plus tard il
tombe, victime d’une hémorragie cérébrale. Il est transporté inconscient à
Montpellier où il meurt le lendemain 11 mars 1981. Aurait-on pu faire quelque
chose pour éviter une fin aussi brutale ? J’ai posé la question au docteur
qui les visitait ma mère et lui régulièrement. Sa réponse fut non. On ne soigne
pas un anévrisme. Au moins sera-t-il mort
comme il a vécu, debout, sans passer par toutes les phases d’une déchéance que
l’allongement de la durée de la vie nous promet à tous. Il sera toujours l’homme de
la droiture, de l’honnêteté, du courage, celui que j’admirais quand j’étais
tout petit et qu’il m’apparaissait dans son bel uniforme de soldat, aux boutons
étincelants, aux cuirs luisants, incarnation de la force virile. Un jour qu’innocemment, du
haut de mes six ou sept ans, je lui demandai " Dis papa, dans
une guerre, comment on sait qui a tort et qui a raison ? ", il
me répondit " Tu regardes celui
qui est pieds nus ; c’est celui-là qui a raison ! ". C’était ça Valmy, c’était
ça Barney. Contre toute l'Europe avec ses capitaines,
Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
Avec ses cavaliers,
Tout entière debout comme une hydre vivante,
Ils chantaient, ils allaient, l'âme sans épouvante
Et les pieds sans souliers !